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Page:Hatin - Histoire politique et littéraire de la presse en France, tome 2.djvu/122

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cartes. Les terres, les châteaux, les biens-fonds, les charges, sortent d’une famille pour entrer dans une autre. Et quel spectacle pour un philosophe que celui de ces possessions si mobiles, de cette succession continuelle qui substitue de nouveaux maîtres aux anciens, et sans cesse subroge de fait environ la moitié des hommes à l’autre ! On serait tenté de croire qu’il n’y a point de possessions réelles, et que tous les hommes, sans exception, sont tout au plus de simples usufruitiers : car, dans moins d’une génération, la plupart des biens ont changé de maîtres et sont souvent dénaturés. Les grandes terres et les grandes charges, qui font les titres de ces familles distinguées par le nom de maisons (que nous tenons des Romains), ne sont pas à l’abri de ces révolutions, par les mariages, les alliances, les morts, les échanges et les changements de fortune.

Viennent ensuite les ventes de meubles et d’effets, de garde-robes, d’équipages, etc., soit par décès, soit à l’amiable : sujet des mêmes réflexions. On voit encore ici combien sont courtes les jouissances humaines ; combien les dépouilles de l’opulence et du luxe passent promptement en d’autres mains, qui, dans quelques moments — que nous appelons des années, — en seront dépouillées à leur tour.

Il est curieux de considérer tous ces rapides passages, et l’on est forcé de penser comme ce derviche qui prenait le palais d’un sophi de Perse pour un caravansérail. Quiconque, à dater du renouvellement des Affiches de Paris, en 1751, ferait le dépouillement des terres, des maisons et des charges vendues, ou suivrait toutes leurs mutations, en trouverait qui depuis vingt ans ont changé au moins cinq ou six fois de possesseurs ou de titulaires.

L’article des ventes, si nécessaire et toujours intéressant pour tous les besoins ou les goûts qui se trouvent à satisfaire, est encore assez piquant pour un curieux, un philosophe, qui veut se procurer le spectacle de ces précieuses bagatelles, de ces inutilités somptueuses consacrées par le luxe et la vanité, surtout si, sans éprouver secrètement aucune sorte d’humiliation, il peut se dire de bonne foi : « Que de choses dont je puis me passer, dont