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Page:Hatin - Histoire politique et littéraire de la presse en France, tome 2.djvu/237

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pouillent de tant de grâces vives et animées, qu’ils perdent plus d’un côté qu’ils ne gagnent de l’autre. Il ne s’en inquiétait donc en aucune façon, il n’a pas d’art, de style, à lui, et c’est une des conditions du génie critique dans la plénitude où Bayle nous le représente. Quand on a un style à soi, comme Montaigne, par exemple, qui est certes un grand esprit critique, on est plus soucieux de la pensée qu’on exprime, et de la manière aiguisée dont on l’exprime, que de la pensée de l’auteur qu’on explique, qu’on développe, qu’on critique ; on a une préoccupation bien légitime de sa propre œuvre, qui se fait à travers l’œuvre de l’autre, et quelquefois à ses dépens. Cette distraction limite le génie critique. Si Bayle l’avait eue, il aurait fait durant toute sa vie un ou deux ouvrages dans le goût des Essais, et n’eût pas écrit ses Nouvelles de la République des Lettres, et toute sa critique usuelle, pratique, incessante. De plus, quand on a un art à soi, une poésie, comme Voltaire, par exemple, qui certes est aussi un grand esprit critique, le plus grand à coup sûr depuis Bayle, on a un goût décidé, qui, quelque souple qu’il soit, atteint vite, ses restrictions. On a son œuvre propre derrière soi à l’horizon ; on ne perd jamais de vue ce clocher-là, on en fait involontairement le centre de ses mesures. Voltaire avait de plus son fanatisme philosophique, sa passion, qui faussait sa critique. Le bon Bayle