Page:Hatin - Histoire politique et littéraire de la presse en France, tome 3.djvu/368

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Voltaire aurait dit qu’il l’avait sur les épaules comme un fagot d’épines, et qu’il n’avait pas eu la force de le secouer, tant il craignait, en le jetant à terre, d’en être déchiré. On lui prêtait encore d’autres paroles sanglantes, qui peignaient avec énergie son horreur pour cet homme, pire, à ses yeux, que l’Arétin, et qu’il appelait « le premier écrivain des charniers, sans contestation. » Que Voltaire, dit M. Sayous, à qui nous empruntons ces détails, n’ait pas eu en grande faveur l’adversaire de ses amis de Paris ; qu’il se crût obligé de faire écho à toutes les fureurs qu’excitait parmi eux le nom de Linguet ; qu’il le redoutât même pour son compte, cela est vraisemblable ; mais Mallet soutint toujours qu’il n’avait jamais entendu sortir de sa bouche que l’expression d’un intérêt sincère pour les malheurs de Linguet, et d’estime pour ses talents. Ce sont ces sentiments qui respirent dans la lettre suivante, que le patriarche écrivait à son jeune protégé, à Londres, où, comme nous venons de le dire, il était allé rejoindre Linguet :


Vous allez dans un pays devenu presque barbare par la violence des factions. C’est un de mes grands chagrins que l’homme éloquent que vous y verrez soit malheureux. Il lui faudra du temps pour en parler la langue avec facilité. À combien d’embarras ce grand ouvrage politique hebdomadaire va l’exposer ! C’est une chose si délicate que de vouloir rappeler à une nation ses intérêts, lorsqu’elle s’est privée elle-même de tous les moyens de régénération ! Je doute que Xénophon eût osé le tenter chez le