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pure, personne ne les y oblige. Pour nous, à combien de tentations périlleuses ne sommes-nous pas exposés ?

Tantôt c’est l’ami d’un auteur, ou l’ami de son ami, qui vient nous demander grâce pour un ouvrage dont il est le premier à nous dire du mal. Mais l’auteur est sensible, ajoute-t-il ; il est mon ami, et je suis le vôtre. Louez son ouvrage, si vous en parlez ; ou, si vous n’avez pas de bien à en dire, n’en parlez pas du tout.

Tantôt c’est l’auteur lui-même qui, un livre d’une main, son chapeau de l’autre, le miel à la bouche et l’orgueil dans le cœur, nous conjure humblement d’exalter son mérite.

D’autrefois ce sont des lettres, les plus polies, les plus flatteuses, les plus engageantes que nous recevons de toutes parts. On fait plus, et je me souviens d’avoir mangé autrefois chez l’abbé Desfontaines d’un très-bon faisan que lui avait envoyé l’auteur d’une très-mauvaise pièce.

De bonne foi, comment résister à des instances si pressantes ? Nous nous raidirions contre les menaces, les persécutions, les injures ; mais les louanges, la flatterie, qui corrompent les cœurs les plus fermes, peuvent bien aussi, quelquefois, surprendre notre jugement et nous dérober notre suffrage. C’est un mal, je l’avoue ; mais ce mal n’est pas toujours aussi grand qu’on se l’imagine : car, qu’on y prenne garde, si les caresses qu’on nous fait nous engagent à dire du bien d’un auteur, elles ne nous empêchent pas pour cela de rendre justice à ses écrits ; et c’est à quoi on ne fait point assez d’attention. Qu’on examine la plupart de nos critiques, et l’on verra que nous avons toujours grand soin de reprendre en particulier tous les défauts d’un ouvrage, tels que peuvent être, par exemple, le peu de justesse dans le raisonnement, la fausseté dans les pensées, la confusion des matières, la frivolité des sujets, la dureté du style, et mille autres choses qui rendent un livre défectueux. Nous finissons ensuite par une louange vague et générale que nous donnons à l’auteur : c’est la fiche de consolation, c’est le miel dont nous frottons le vase d’amertume que nous lui avons préparé. Mais que fait alors le lecteur peu équitable ? Il s’attache uniquement à nos dernières paroles, et, attri-