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six bien conditionnés : trois pour les auteurs du Journal des Savants, de Verdun et de Trévoux, un pour celui du Mercure, et les deux autres pour ceux qui font des feuilles. On se garde bien de charger personne de la commission de nous les présenter ; on veut en être soi-même le porteur, pour se rendre ses juges plus favorables. On débute d’abord en nous voyant par un compliment flatteur sur la célébrité de notre nom, l’intégrité de nos jugements, la solidité de nos remarques, et mille autres fadeurs de cette espèce, qui aboutissent toujours à nous demander une place honorable dans notre journal. On nous prie ensuite de vouloir bien entendre la lecture de quelques pages de l’ouvrage qu’on nous présente. On ouvre le livre comme par hasard, et l’on ne manque jamais de tomber sur les endroits qu’on croit les meilleurs ; on les lit avec emphase, en cherchant dans nos yeux des applaudissements que notre cœur désavoue ; on nous demande notre sentiment, et l’on prend pour des éloges sincères quelques marques d’approbation que la politesse seule nous arrache : car le moyen de dire en face à un homme que son livre ne vaut rien ! Je l’ai dit, on passerait pour un impoli qui manque d’égards et qui n’est point accoutumé à vivre parmi les honnêtes gens. J’ajoute que, si après avoir dit du bien d’un ouvrage par complaisance, on en disait du mal ensuite par justice, on serait regardé comme un homme de mauvaise foi, qui approuve en particulier et qui condamne en public, qui flatte avec la langue et qui déchire avec la plume.

Pour éviter ce double reproche, un censeur n’aurait, ce semble, qu’à ne point parler dans ses feuilles des livres qu’il désapprouve. Mais où sont les auteurs qui souffrent patiemment qu’on ne dise rien de leurs écrits ? Ils sont là-dessus d’une puérilité qui étonne. « Parlez de moi, m’écrivait un jour un d’entre eux, et si vous n’avez pas de bien à dire de mon ouvrage, dites-en du mal ; mais parlez de moi. » Il ne nous reste donc plus qu’un parti à prendre, c’est d’en parler et d’en dire du bien. Cruelle alternative, d’être impoli, homme faux ou flatteur par état ! C’est cependant à quoi les auteurs nous réduisent par leur importunité ; et c’est ce que j’ai dit qu’il ne nous serait pas difficile d’éviter si nous étions moins connus.