Page:Hatin - Histoire politique et littéraire de la presse en France, tome 3.djvu/99

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

qui seule peut intéresser dans un ouvrage de cette nature. Combien de questions importantes sur lesquelles il ne sera pas permis à un auteur d’avoir un avis ! Combien d’excellents ouvrages qu’ils n’oseront même nommer, encore moins approfondir avec la bonne foi qui convient aux philosophes ! Si l’Esprit des Lois paraissait de nos jours, et qu’il fût l’ouvrage d’un homme de lettres sans aveu et sans protection, je ne sais quel serait le sort de cet homme-là ; mais je sais qu’aucun de nos journalistes avoués n’oserait lui rendre la justice qui lui est due, et que celui qui s’en aviserait courrait risque de perdre son privilége. Ce qu’il y a encore de plus fâcheux, c’est ce tas d’éloges que tous les journalistes, sans exception, sont obligés de donner tout le long de l’année aux ouvrages médiocres. Rien ne blesse autant les droits du génie que de voir prodiguer à la médiocrité les éloges qui ne sont dus qu’à lui. Tout ceci prouve qu’on ne peut faire un bon journal que dans un pays où la liberté de la presse est parfaitement établie ; et, bien loin qu’il eût besoin d’une protection particulière du gouvernement, il faudrait que tout, jusqu’aux noms des journalistes, fût ignoré du public ; sans quoi le chapitre des égards et la crainte des tracasseries disposeront, dans mille circonstances, de leur franchise et de leur impartialité[1]. M. l’abbé Arnaud et M. Suard

  1. C’est ce qu’avait dit l’abbé de La Porte dans un article que nous avons cité