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Régnier, ou de Viellé-Griffin, en attendant que, eux-mêmes, ils s’y plaisent moins ; — et il me semble que M. Rostand ferait mieux d’être, prosodiquement, beaucoup plus régulier, ou de ne l’être pas du tout. Et, puisque je suis en train de mécontenter tout le monde, je veux ajouter que l’auteur de la Samaritaine, très souvent, me fâche par trop de malice que ne rachète pas trop de négligence ; et surtout par l’affectation de ce qu’on appelle la rime riche. Certes, à mon point de vue, la rime doit être pleinement sonore, avec la consonne d’appui, — quand le mouvement lyrique n’exige pas quelque apparence d’abandon. Cette rime-là, c’est celle de Hugo, de Gautier, de Leconte de Lisle, de Baudelaire, de François Coppée, de Sully Prudhomme, d’Armand Silvestre, de Jean Richepin, de Maurice Bouchor, et de cet admirable Saint-Amant, Raoul Ronchon, — et la mienne. Mais la rime, comme qui dirait à deux étages, ou à double menton, la rime exagérée, la rime deux fois riche, la rime deux fois rimée, n’est véritablement de mise (relisez les Odes funambulesques de Banville, les Gilles et Pasquin, de Glatigny, la Nuit Bergamasque, d’Émile Bergerat, la Grive des Vignes, de Catulle Mendès, où, d’ailleurs, j’ai eu soin d’éviter la moindre rime-calembour !), n’est, dis-je, véritablement de mise que dans les odes farces, quand le vers condescend à la blague lyrique ! En les œuvres pas pour rire, la rime trop riche, ou trop imprévue, est interruptrice de l’emportement, de la tendresse, du sublime. De même que j’ai blâmé Émile Bergerat d’avoir, dans Manon Roland, fait rimer avec « Dumouriez » « que vous mouriez », je blâme M. Edmond Rostand d’avoir fait rimer, dans la Samaritaine :  mûriers » avec « murmuriez », et il ne faut être drôle que quand on est décidé à ne pas être sérieux.

Mais tous ce que je dis là, c’est bien peu important. À travers toutes les diverses prosodies éclate l’âme des poètes qui sont vraiment des poètes. Au fond, de toutes les règles, je m’en fiche. Ah ! combien je m’en fiche ; et notre art pourrait se passer de technique. Je crois à la mienne. Je n’empêche pas les autres de croire à la leur…

(Le Journal, 15 avril 1897).