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LA MARQUE DE NAISSANCE

sujet, qui, dans le principe à peu près insignifiant, devint à la fin le centre de toutes ses pensées.

Lorsque l’aurore venait se jouer dans les plis de ses rideaux et l’arracher au sommeil, son premier regard était pour la gracieuse figure de Georgina, où s’étalait la maudite marque ; et lorsque, le soir, assis côte à côte, ils devisaient auprès du foyer, ses yeux se portaient encore à la dérobée sur la joue de sa femme, où il croyait voir, à la clarté vacillante de la flamme, le spectre de la main sanglante, stigmate éternel de l’objet de son adoration.

Georgina tressaillit involontairement sous le regard de son mari, dont un seul coup d’œil suffisait pour changer les roses de son teint en une pâleur mortelle, sur laquelle ressortait la main de pourpre, comme un bas-relief de rubis sur le marbre de Paros.

Un jour que l’ombre du crépuscule dissimulait en s’épaississant la tache de sa joue, la pauvre femme osa la première aborder résolûment ce triste propos.

— Vous souvenez-vous, mon cher Aylimer, dit-elle avec un faible sourire, avez-vous souvenir d’un songe que vous eûtes la nuit dernière, à propos de cette odieuse main ?

— Non, pas le moins du monde, répondit Aylimer avec précipitation. Je puis bien, ajouta-t-il en cachant son émotion sous une froideur apparente, je puis bien en avoir rêvé, car avant de m’endormir j’y avais fortement songé.

— C’est ce qui est arrivé, se hâta de dire Georgina, craignant que ses sanglots mal comprimés ne l’interrompissent.

— En effet, j’ai le vague souvenir d’un rêve affreux.

— Comment avez-vous pu l’oublier ?