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CONTES ÉTRANGES

Et comme il achevait ces paroles, le vieux papillon, qui s’était posé sur sa tête blanche, agita ses ailes dans une dernière convulsion et tomba sur le plancher.

Les quatre convives frissonnèrent, saisis d’un indéfinissable malaise, ils éprouvaient une sensation étrange de froid glacial qui raidissait tous leurs membres et figeait le sang de leurs veines, et il leur sembla qu’un manteau de plomb courbait leurs reins et écrasait leurs épaules. Ils sentaient le vertige envahir leur cerveau, et, quelques minutes après, c’étaient quatre vieillards à la tête branlante qui étaient rangés autour de la table du docteur Heidegger…

La veuve Wycherly ramena sa coiffe sur son crâne dénudé, par un mouvement instinctif de coquetterie féminine, dernier sentiment qui survit dans l’âme de la femme. L’eau de la fontaine de Jouvence n’avait, hélas ! qu’une vertu passagère, et de ce court délire et de cette ivresse rapide il ne leur restait qu’un amer souvenir, le plus cuisant de tous, les débris du vase, dispersés à leurs pieds, leur disaient assez qu’ils n’étaient pas le jouet d’un rêve ou d’une hallucination.

— Sommes-nous donc sitôt redevenus des vieillards ? soupirèrent-ils d’une voix plaintive.

— Oui, mes amis, la nature et le temps ont repris leur empire, et leur marche un instant troublée et suspendue. Pour moi, je ne le regrette pas. La fontaine de Jouvence coulerait-elle dans mon jardin que jamais je ne tremperais mes lèvres à sa source enchantée, la jeunesse qu’elle procure durât-elle des années. Tel est le fruit que j’ai recueilli de votre exemple.