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L’AMOUR DU BEAU

plaisait à poursuivre les papillons et les libellules, ou bien à suivre d’un œil curieux les évolutions des insectes à la surface de l’eau. Il y avait, en vérité, quelque chose d’étrange dans l’attention avec laquelle il considérait ces jouets animés folâtrant dans la brise, ou, quand il avait fait un prisonnier, dans le soin avec lequel il étudiait sa structure délicate. La chasse aux papillons, c’était bien l’emblème de cette poursuite obstinée de l’idéal, à laquelle il avait déjà sacrifié une si grande part de son existence. Mais atteindrait-il jamais cet idéal, comme il avait déjà saisi l’innocent animal qui le symbolise ?

Ces promenades entremêlées de rêveries étaient bien douces au cœur de l’artiste. Dans ces jours heureux, les plus brillantes conceptions étincelaient dans son esprit comme l’aile diaprée du papillon aux rayons du soleil. C’étaient, pour sa merveilleuse imagination, autant de phénomènes tangibles, moins la peine et les déceptions que lui eussent coûtées tour réalisation. Pourquoi faut-il, hélas ! qu’en poésie comme dans tout autre art, l’homme épris de l’idéal ne puisse se contenter de la jouissance spirituelle du beau ? Pourquoi faut-il qu’il soit condamné à poursuivre ce mystérieux et insaisissable fantôme en dehors des limites de son domaine éthéré, au risque de détruire sa frêle existence en lui donnant un corps ? Owen Warland se sentit bientôt entraîné vers la réalisation de ses rêves, avec autant de force que le peintre ou le poëte qui veut doter d’une pâle et incertaine beauté les rêves de son imagination.

C’était durant les longues heures de la nuit qu’il retournait dans son cerveau surexcité cette idée fixe sur laquelle il concentrait toute son intelligence et toute la force de sa volonté