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CONTES ÉTRANGES

bleu, précédés d’une musique fort complète, mais dont l’éloignement nous empêche d’entendre les accords. Ils ont fait une longue halte dans la montre du marchand après une longue étape ; je suppose qu’ils viennent en droite ligne de Lilliput.

Les soldats n’ont pourtant que faire ici, chère Annie ; leur reine n’est point d’humeur conquérante, une Sémiramis ou bien une Catherine. Toutes ses affections reposent sur cette poupée que vous voyez là si bien mise et qui nous considère avec ses yeux d’émail. Ah ! pour le coup, voilà le véritable jouet des petites filles. Bien que généralement taillée dans un bois très-ordinaire, la poupée est dans leur idée un personnage idéal auquel l’imagination prête une vie relative et pour ainsi dire réelle. Cette image de la femme devient en peu de temps l’héroïne d’un roman forgé à plaisir et le principal habitant de ce petit monde dont les enfants sont les rois.

Il est probable qu’Annie ne comprend pas un mot de ce que je dis là ; mais elle n’en regarde pas moins ardemment à la vitrine du marchand.

Soyez tranquille, petite, au retour nous l’inviterons à nous rendre visite. En attendant, salut, madame la poupée, continuez à regarder, avec votre éternel sourire passer ces belles dames, qui ne sont guère moins poupées que vous, jouets vivants qui traînent à leur remorque de grands enfants qui n’ont de sérieux que le visage. Ô poupée ! vous êtes une sage leçon pour ces coquettes qui ne vous valent souvent pas, mais la comprendront-elles ?

Allons, venez, Annie, nous trouverons, chemin faisant, d’autres marchands de jouets ; il faut, pour le moment, penser au but de notre promenade.