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LA MARQUE DE NAISSANCE

Pour tromper un peu l’ennui de la solitude, Georgina s’amusait à feuilleter les livres qui composaient la bibliothèque scientifique d’Aylimer, empreints, pour la plupart, d’une sombre et terrible poésie. C’étaient de poudreux in-folios, œuvres aujourd’hui perdues des philosophes du moyen âge : Albert le Grand, Cornélius Agrippa, Paracelse et ce moine mystérieux, créateur de la tête prophétique. Tous ces hommes, à force d’arracher à la nature ses secrets avaient, il est vrai, devancé les lumières de leur siècle, mais ils étaient, par malheur, imbus d’une certaine dose de crédulité qu’ils n’eurent point de peine à faire partager à leurs ignorants contemporains. Peut-être s’imaginaient-ils avoir acquis, dans leurs vastes études, un pouvoir surnaturel. Le livre qui piqua le plus vivement la curiosité de Georgina fut un énorme registre, écrit tout entier de la main de son époux, et sur lequel il avait consigné les moindres expériences de sa carrière scientifique, détaillant soigneusement à chacune d’elles le but qu’il s’était proposé d’atteindre, la méthode qu’il avait employée et le succès ou l’avortement qui en avait été le résultat ; avec l’exposé des motifs auxquels on devait attribuer l’une ou l’autre issue. Ce livre était, en quelque sorte, l’histoire morale de cette imagination ardente et ambitieuse, plutôt qu’un relevé scrupuleux des travaux de toute sa vie.

Aylimer rapportait tout aux causes physiques, mais il possédait au suprême degré l’art de les spiritualiser, et dégageait son esprit d’un matérialisme grossier par la profondeur de ses conceptions et la ferme croyance que le vil limon dont nous sommes formés est animé par ce principe intangible que l’on est convenu d’appeler l’âme.