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LE VOYAGE DE NOCE

tôt, comme on va le voir, à estimer les imperfections de mistress Bullfrog à leur juste valeur.

Le jour même où nous fûmes unis, nous louâmes deux places dans le coupé d’une diligence pour nous rendre au siége ordinaire de mes affaires. Il n’y avait pas d’autres voyageurs, aussi étions-nous aussi libres que si j’avais loué une chaise pour notre voyage de noce. Ma femme était charmante, avec sa capote de soie verte et sa pelisse garnie de fourrures. Ses lèvres purpurines laissaient entrevoir, lorsqu’elle souriait, une double rangée de perles du plus bel orient. Telle était l’ardeur de ma passion que, profitant de ce que nous étions aussi seuls qu’Adam et Ève dans le paradis terrestre, à peine sortis du village, je pris la liberté de dérober à ma compagne un doux baiser, profanation dont ses yeux ne semblèrent point irrités.

Encouragé par cette indulgence, je relevais légèrement la capote verte sur son front blanc et poli, j’osai passer délicatement mes doigts dans les boucles brunes et soyeuses de ses cheveux, qui réalisaient à mes yeux ce que j’avais rêvé de plus idéal en ce genre.

— Cher ami, me dit tendrement mistress Bullfrog, vous allez me décoiffer.

— Non, ma douce Laura, répliquai-je, jouant toujours avec sa chevelure, votre main de fée n’enroulerait pas plus artistement une boucle que la mienne, et je me propose même le plaisir d’empapilloter chaque soir vos cheveux en même temps que les miens.

— Monsieur Bullfrog, répéta-t-elle, je vous prie de laisser mes cheveux tranquilles.

Cette fois, cela était dit sur un ton décidé auquel ne