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CONTES ÉTRANGES

une fée paraît tantôt sous la figure d’une belle femme, tantôt sous les traits d’un monstre hideux ; et je regardais mistress Bullfrog dans l’attente de quelque effroyable transformation.

Pour distraire mon esprit de cette affreuse pensée, je ramassai le journal qui couvrait les provisions et sur lequel, en se brisant, la bouteille de kalydor avait laissé des traces non équivoques du liquide qu’elle contenait. Ce journal avait deux ou trois ans de date, cependant j’y découvris, en le parcourant, un article de plusieurs colonnes qui attira singulièrement mon attention.

C’était un procès, et il s’agissait d’une promesse de mariage dont on demandait la nullité. Au nombre des preuves à l’appui et autres documents, se trouvaient de brûlants extraits d’une correspondance amoureuse. La fille abandonnée avait comparu en personne devant la cour pour montrer aux juges quelle était l’ingratitude de son amant, eu égard aux preuves d’amour qu’il avait reçues d’elle ; elle concluait à des dommages-intérêts que sa partie aimait mieux payer que de supporter, sa vie durant, l’affreux caractère de la plaignante. En lisant le nom de cette dernière un horrible soupçon traversa mon esprit.

— Madame, dis-je en plaçant le papier sous les yeux de mistress Bullfrog, — et en ce moment je dus avoir l’air terrible, — madame, répétai-je les dents serrées, étiez-vous la demandeuse en cette cause ?

— Comment, mon cher Bullfrog, mais je croyais que tout le monde connaissait cette affaire ?

— Horreur ! horreur ! m’écriai—je en me laissant aller sur les coussins de la voiture.