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M. WAKEFIELD

— Je demeure pourtant à côté d’elle, se dit-il quelquefois.

Insensé ! ces deux pas qui vous séparent sont les frontières de deux mondes. Cependant il fixe son retour à une certaine époque qu’il ne peut encore préciser, mais qui ne peut manquer d’être prochaine, « pas demain, mais probablement la semaine prochaine, bientôt ». Pauvre homme ! la mort peut venir aussi bientôt te surprendre, loin de la pauvre abandonnée !

Ce n’est pas en quelques pages, mais dans un in-folio, qu’il faudrait consigner les excellentes raisons que Wakefield trouvait chaque jour pour retarder son retour auprès de sa chère compagne. Dix ans plus tard, nous le retrouvons encore dans le même appartement ; seulement, il y a longtemps qu’il a perdu la conscience de sa conduite excentrique. Son genre de vie lui semble actuellement tout naturel, et il ne lui vient pas à l’idée qu’il en pourrait être autrement.

C’est vers cette époque que se place une nouvelle scène dans notre récit. Dans une des rues les plus passagères de Londres, nous pouvons voir un homme, déjà vieux, porteur d’une physionomie singulière qui le désigne aux regards de l’observateur : il est maigre, sa figure effilée penche sur sa poitrine ; ses yeux sans éclat sont doués d’une étrange mobilité, et son cou semble muni d’un mécanisme analogue à celui d’une lampe à roulis ; il jette autour de lui des regards inquiets, comme s’il s’attendait à voir paraître quelque effrayant objet. Observons-le avec attention, et nous reconnaîtrons bientôt que les circonstances ont fait un type des plus originaux d’un homme sorti fort ordinaire des