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M. WAKEFIELD

sienne. Encore sa destinée avait-elle cela de particulier, qu’il avait conservé le désir des sympathies humaines, et qu’il n’était nullement détaché des biens de ce monde, avec lequel il avait pourtant assez complétement rompu pour ne conserver aucun droit à sa sollicitude ni même à son souvenir. Ce serait une curieuse étude que de pousser plus avant cette analyse psychologique. Pour Wakefield, il avait depuis longtemps renoncé à tout travail de cette nature sur son propre esprit, si tant est qu’il l’eût jamais essayé. Il en était arrivé à n’avoir plus aucune conscience de son état, et lorsqu’il répétait quelquefois par routine : « J’y retournerai bientôt », il ne réfléchissait pas que depuis vingt ans il en disait autant.

On comprend cependant que ces vingt années maintenant écoulées ne semblaient guère plus longues à Wakefield que cette fameuse semaine à laquelle il avait, dans le principe, limité son absence. Il se surprenait encore pensant aux sauts de joie que ne manquerait pas de faire mistress Wakefield en le voyant arriver, comme elle battrait des mains et sauterait au cou de son cher mari. Il n’oubliait qu’une chose, c’est que le temps des folies conjugales était passé pour eux.

« Bah ! nous serons tous deux jeunes jusqu’au jour du jugement », pensait ce pauvre cerveau fêlé de Wakefield.

Un soir de sa vingtième année d’absence, notre exilé sort pour accomplir sa promenade accoutumée aux abords de cette demeure qu’il nomme encore la sienne. C’est une orageuse nuit d’automne, dont les fréquentes ondées tombent avec tant de promptitude que l’on n’a pas le temps d’ouvrir son parapluie. Le pavé semble celui d’une cuisine