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LA FILLE AUX POISONS

— Dois-je même croire tout ce que j’ai vu de mes yeux, dit le jeune homme, en faisant allusion aux scènes dont il avait été témoin. Non, signora, vous m’en demandez trop peu, ordonnez-moi plutôt de ne croire que ce qui sortira de vos lèvres.

Sans doute Béatrix avait compris, car une rougeur subite vint empourprer ses joues ; mais elle regarda Giovanni bien en face et répondit avec une souveraine hauteur :

— Eh bien, oui, je vous l’ordonne, signor. Oubliez ce que vous avez pu voir. Ce qui vous semble vrai peut n’être qu’un mensonge ; mais les paroles de Béatrix Rappaccini sont l’expression d’un cœur qui ne sait pas feindre. Voilà ce que vous devez croire.

Le feu avec lequel elle prononça ces paroles parut à Giovanni la lumière même de la vérité ; cependant, tandis qu’elle parlait, un parfum délicieux chargeait l’atmosphère de suaves émanations que, par une répugnance inexplicable, le jeune homme n’osait respirer, car il craignait qu’elles ne provinssent des fleurs mystérieuses qui l’entouraient. Était-ce l’haleine de Béatrix qui répandait cet enivrant parfum, ou les fleurs qu’elle portait à son corsage ? C’est ce qu’il ne pouvait déterminer. Un instant, il se sentit défaillir, mais cette faiblesse se dissipa comme une ombre, et Giovanni, après avoir plongé ses regards dans les yeux de cette charmante fille, miroir de son âme candide, n’hésita plus à croire en elle.

Cependant la vive rougeur qui avait envahi les joues de Béatrix disparut peu à peu. Elle redevint gaie et parut prendre le plus vif plaisir en s’entretenant avec Giovanni. On eût dit l’unique habitante d’une île déserte causant avec