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LA GRANDE FIGURE DE PIERRE

Or, pendant qu’Ernest croissait en âge et en célébrité, on apprit qu’un des fils du pays était devenu un grand poëte, répandant ses chants harmonieux au milieu du trouble et de l’agitation des villes. Bien qu’éloigné de sa pittoresque vallée, il célébrait dans ses vers les pics neigeux qu’il avait si souvent parcourus dans son enfance, et surtout la Grande Figure de pierre qu’il avait immortalisée dans une ode sublime.

C’était en vérité un homme de génie ; la nature semblait plus belle quand il lui consacrait un regard, et la création n’eût pas paru complète s’il n’avait été là pour en interpréter les magnificences.

Lorsque l’homme était à son tour le sujet de ses vers, il les revêtait d’un caractère plus majestueux, d’une forme plus noble encore, pour montrer les anneaux de cette chaîne invisible, mais continue, qui reliait, suivant lui, la grande famille humaine au monde des êtres immatériels. Quelques esprits positifs raillaient à la vérité cette croyance du poëte, mais peut-être n’étaient-ils point pétris du même limon et avaient-ils été créés par la nature, dans un accès de méprisante amertume, avec la fange dont elle forme les animaux immondes.

Ces vers parvinrent un jour à Ernest. Il les lut après son travail, assis sur un banc, devant sa chaumière, à cet endroit même où depuis si longtemps il faisait provision de sagesse à contempler la Grande Figure. En lisant ces stances sublimes qui semblaient un écho de son âme, il tourna vers elles ses yeux rayonnants d’espoir.

— Oh majestueuse amie ! dit-il, n’est-ce pas cet homme qui te ressemble ?