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LA GRANDE FIGURE DE PIERRE

agité des vivantes images que créait l’imagination du poëte, et qui, mélancoliques ou consolantes, mais toujours empreintes d’une radieuse beauté, voltigeaient autour de sa cabane.

La mutuelle sympathie de ces deux hommes semblait grandir le cercle de leurs conceptions et les poussait à creuser les idées qui jaillissaient de leur cerveau plus profondément que chacun n’eût pu le faire dans une méditation solitaire. Leurs pensées, unies dans un commun effort, présentaient une harmonie quasi céleste, dont un seul n’eût pu se dire l’auteur, et dans laquelle cependant aucun des deux n’eût su retrouver ce qui lui appartenait en propre. Animés l’un par l’autre, ils abordèrent enfin des sujets telment élevés et abstraits qu’il ne leur était jamais venu la pensée de les effleurer, et cependant si nobles, si passionnants qu’ils ne pouvaient se résoudre à les quitter.

Tout en écoutant la poëte, Ernest crut voir la Grande Figure se pencher curieusement vers lui, à son tour il fixa sur lui ses yeux ardents.

— Qui donc êtes-vous, mon hôte ? demanda-t-il.

Le poëte posa la main sur le livre que tenait Ernest.

— Vous avez lu ces vers, dit-il, alors vous me connaissez, car ils sont de moi.

À ces mots, un sentiment plus vif de curiosité anima la figure du vieillard ; il regarda de nouveau le poëte, puis la Grande Figure, mais il baissa presque aussitôt la tête en soupirant.

— Pourquoi semblez-vous triste ? demanda le poëte.

— Parce que, répondit Ernest, durant toute ma vie, j’ai attendu l’accomplissement de la prophétie, et qu’en li-