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CONTES ÉTRANGES

placé qu’il était au centre de la ville et dans le quartier des affaires, aurait pu devenir la source de revenus importants ; mais le rusé Pierre avait des raisons secrètes pour ne point vouloir s’en dessaisir. Il semblait faire corps avec la demeure de ses pères, et, bien qu’il se fût souvent trouvé réduit à de terribles extrémités, et qu’à l’époque dont nous parlons il fût complètement ruiné, jamais il n’avait voulu prendre d’engagement qui pussent, un jour ou l’autre, la livrer aux mains de créanciers. Il l’habitait donc avec sa mauvaise fortune en attendant la bonne.

C’était dans sa cuisine, la seule pièce où le froid fût combattu par un maigre brasier, que le pauvre Pierre Goldthwaite venait de recevoir le riche John Brown, son ancien associé. Après cette entrevue, Pierre jeta un regard désolé sur son accoutrement, dont quelques parties semblaient remonter au jour de leur association. Son par-dessus était d’une étoffe chinée toute passée, et percé aux coudes ; sous ce vêtement, il portait un habit noir, également usé et dont les boutons absents avaient été remplacés par d’autres d’un modèle différent, enfin son pantalon, jadis noir, était en loques.

La personne de Pierre était en harmonie avec ce bel accoutrement. La tête grisonnante, les yeux caves, le visage blême, le corps amaigri, tel était le véritable portrait d’un homme qui s’était surtout nourri de rêves creux et de folles espérances jusqu’à ce qu’il en fût venu au point de ne pouvoir ni vivre de semblables drogues, ni digérer une nourriture plus substantielle.

Et pourtant ce Pierre Goldthwaite, tout niais et tout cerveau fêté qu’il parût, aurait pu faire dans le monde une cer-