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Page:Heine - Œuvres de Henri Heine, 1910.djvu/161

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pressées par des lèvres chéries, saignent de nouveau ; leurs chaudes et rouges gouttes tombent lentement, une à une, dans la mer, elles tombent sur une vieille maison qui est là dans la ville sous-marine, sur une vieille maison au pignon élevé, qui semble veuve de tous ses habitants, et dans laquelle est assise, à une fenêtre basse, une jeune fille qui appuie sa tête sur son bras. — Et je te connais, pauvre enfant ! Si loin, au fond de la mer même, tu t’es cachée de moi dans un accès d’humeur enfantine, et tu n’as pas pu remonter, et tu t’es assise étrangère parmi des étrangers, durant un siècle, pendant que moi, l’âme pleine de chagrin, je te cherchais par toute la terre, et toujours je te cherchais, toi toujours aimée, depuis si longtemps aimée, toi que j’ai retrouvée enfin ! Je t’ai retrouvée et je revois ton doux visage, tes yeux intelligents et calmes, ton fin sourire. — Et jamais je ne te quitterai plus, et je viens à toi, et les bras étendus, je me précipite sur ton cœur.

Mais le capitaine me saisit à temps par le pied, et, me tirant sur le bord du vaisseau, me dit d’un ton bourru : « Docteur ! docteur ! êtes-vous possédé du diable ? »


11


PURIFICATION


« Reste au fond de la mer, rêve insensé, qui autrefois, la nuit, as si souvent affligé mon cœur d’un faux bonheur, et qui, encore à présent, spectre marin, viens me tourmenter en plein jour. — Reste là sous les ondes durant l’éternité, et je te jette encore tous mes maux et tous mes péchés, et le bonnet de la folie dont les grelots ont si longtemps résonné autour de ma tête, et la froide dissimulation, cette peau lisse de serpent qui m’a si longtemps enveloppé l’âme…, mon âme malade reniant Dieu et reniant les anges, mon âme maudite et damnée… »

— Hoiho ! hoiho ! voici le vent ! dépliez les voiles ! elles flottent et s’enflent ! Sur le miroir placide et périlleux des eaux, le vaisseau glisse, et l’âme délivrée pousse des cris de joie.