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Ce sont là des personnages remarquables ! Simples à l’extérieur, dans leurs robes de bois, ils sont, au dedans, plus beaux et plus brillants que tous les orgueilleux lévites du temple et que les trabans et les courtisans d’Hérode, parés d’or et de pourpre. J’ai toujours dit que le roi des cieux, notre Seigneur, passait sa vie, non parmi les gens du commun, mais bien au milieu de la meilleure compagnie !

Alleluia ! comme les palmiers de Bethel m’envoient des senteurs délicieuses ! Quel parfum la myrrhe d’Hébron exhale ! Comme le Jourdain murmure et se balance d’allégresse ! Et mon âme bienheureuse se balance et chancelle aussi, et je chancelle avec elle ; et, chancelant lui aussi, le brave sommelier du Rathskeller de Brême m’emporte au haut de l’escalier, à la lumière du jour.

Brave sommelier du Rathskeller de Brême ! regarde — sur le toit des maisons, les anges sont assis ; ils sont ivres et chantent ; l’ardent soleil là-haut n’est réellement qu’une rouge trogne, le nez de l’esprit du monde, et autour de ce nez flamboyant se meut l’univers en goguette.


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ÉPILOGUE


Comme les épis de blé dans un champ, les pensées poussent et ondulent dans l’esprit de l’homme ; mais les douces pensées du poète sont comme des fleurs bleues et rouges qui s’épanouissent gaîment entre les épis.

Fleurs bleues et rouges ! le moissonneur bourru vous rejette comme inutiles ; les rustres, armés de fléaux, vous écrasent avec dédain ; le simple promeneur même, que votre vue récrée et réjouit, secoue la tête et vous traite de mauvaises herbes. Mais la jeune villageoise, qui tresse des couronnes, vous honore et vous recueille, et vous place dans ses cheveux, et, ainsi parée, elle court au bal où résonnent fifres et violons, à moins qu’elle ne s’échappe pour chercher l’ombrage discret des tilleuls où la voix du bien-aimé résonne encore plus délicieusement que les fifres et les violons !