Page:Heine - Œuvres de Henri Heine, 1910.djvu/187

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« Les Français le savent bien que je ne suis pas une pucelle. Ils ont si souvent mêlé à mes flots leurs eaux victorieuses.

« Quelle sotte chanson ! Et quel sot rimeur que ce Nicolas Becker, avec son Rhin libre ! Il m’a affiché de honteuse façon. Il m’a même d’une certaine manière compromis politiquement.

« Car quand un jour les Français reviendront, il me faudra rougir de honte devant eux, moi qui tant de fois, pour leur retour, ai prié le ciel avec des larmes.

« Je les ai toujours tant aimés, ces gentils petits Français. Chantent-ils, dansent-ils encore comme autrefois ? Portent-ils encore des pantalons blancs ?

« Je serais heureux de les revoir ! Mais j’ai peur de leur persiflage à cause de cette maudite chanson, j’ai peur de la raillerie et du blâme qu’ils m’infligeront.

« Alfred de Musset, ce méchant garnement, viendra peut-être à leur tête en tambour et me tambourinera aux oreilles toutes ses mauvaises plaisanteries. »

— Telle fut la plainte du vieux fleuve, du père Rhenus. Il ne pouvait en prendre son parti. Je lui dis mainte parole consolante, pour lui rendre le calme.

Va, ne crains pas, mon bon vieux, le sarcasme moqueur des Français ; ce ne sont plus les Français rieurs d’autrefois : ils portent aussi d’autres pantalons.

Les pantalons ne sont plus blancs, ils sont rouges. Les Français d’aujourd’hui sont aussi boutonnés avec d’autres boutons ; ils ne chantent plus ; ils ne dansent plus : ils penchent mélancoliquement la tête.

Ils philosophent maintenant et parlent de Kant, de Fichte et de Hégel. Ils fument et boivent de la bière, et plus d’un joue aux quilles.

Ils se font épiciers, épiciers tout comme nous, je crois même qu’ils nous ont dépassés dans la bonneterie. Ils ne sont plus voltairiens, ils deviennent hengstenbergiens.