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Page:Heine - Œuvres de Henri Heine, 1910.djvu/243

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C’est toujours ce qui m’a le plus blessé que ce tressaillement aigre-doux des lèvres chez les hommes. Rien ne m’est plus odieux que le sourire de ces êtres.

Quand j’apercevais ce mouvement fatal sur leur blanc visage, il me semblait que mes entrailles se retournaient dans mon ventre.

La profonde scélératesse d’une âme humaine se manifeste d’une façon bien plus impertinente par le sourire que par les paroles.

Ils sourient sans cesse ! même alors que la décence exige un profond sérieux, dans le moment le plus solennel de l’amour !

Ils sourient sans cesse ! Ils sourient même en dansant ! Ils profanent ainsi cet art qui aurait dû rester un culte.

Oui, la danse, dans les temps anciens, était une pieuse manifestation de la foi. Le chœur des prêtres sautait saintement autour de l’autel.

C’est ainsi que le roi David dansa jadis devant l’arche d’alliance. Danser était un acte sacré, danser c’était prier avec les jambes.

C’est ainsi que moi-même j’avais compris la danse, lorsque j’exerçais sur les places, devant le peuple qui m’applaudissait tant.

Ces applaudissements, je l’avoue, me faisaient du bien au cœur ; car il est doux d’arracher des suffrages à un ennemi.

Mais, dans l’enthousiasme, ils souriaient encore. L’art de la danse est lui-même impuissant à moraliser les hommes, et ils restent toujours frivoles !


8

Plus d’un vertueux citoyen sent mauvais ici-bas, pendant que des valets de princes sont parfumés de lavande et d’ambre.

Il y a des âmes virginales qui sentent le savon noir, tandis que parfois le vice vient de se laver avec de l’eau de rose.