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pœuf.

sa gamelle, et, tandis qu’il humait l’opaline et grasse vapeur qui, d’un seul jet, montait d’abord par l’atmosphère, un large sourire l’éclaboussait et lui dilatait les narines… Une minute, le front plissé, la prunelle claire, il s’occupait à pêcher l’inévitable tranche de bœuf dont se compose l’ordinaire, à l’égoutter, à l’examiner, à l’étendre dans le couvercle de sa gamelle ; puis, goulûment il attaquait ses premières cuillerées de soupe. Quel homme ! quel appétit !

— C’est si bon que ça ? ne pouvais-je m’empêcher de murmurer.

Il répondait : — Oui, m’sieur André… Que même si vous vouliez me faire l’honneur…

Je refusais, par dignité, aussi pour ne pas le priver d’une bouchée ; mais, comme j’aurais voulu dévorer avec lui, manger de son bœuf, manger de sa soupe, et, à son exemple, m’enfourner des tranches de pain à ne plus être capable de fermer les mâchoires !

Quand il avait l’estomac plein, il se montrait volontiers loquace, d’habitude, après s’être curé les dents avec son épinglette, tout en bourrant sa pipe dans une vieille blague de peau sur laquelle achevaient de s’écailler, en sautoir, deux étendards autrefois tricolores. On débutait par évoquer Brest, la Bretagne, ses plaisirs, son climat, Lorient, Plougoumelen, le village où il était né ; puis, à peu près inévitablement, une même