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POEUF.

j’avalai mon potage. « À mort ! À mort !… Pœuf était condamné à mort ! »

Je mentionnai, ce soir-là, un fait : c’est que les mets peuvent gagner le goût des tristesses qu’on a, occasionnellement, aux heures où l’âme se déséquilibre.

Ma mère s’informant tout à coup de la séance du conseil, je ne perdis aucune des réponses grâce auxquelles on lui apprit que Pœuf avait été défendu par un fourrier, qu’il avait changé, vieilli, et que, durant le questionnaire, il s’était laissé aller à de violentes paroles contre sa victime, pour bientôt pleurer et demander à être fusillé le plus tôt possible.

Je m’endormis comme une brute, au dessert, tant j’étais accablé d’impressions. Ce fut à peine si j’eus la force de me dévêtir et de me glisser entre mes draps. Seulement, le lendemain, lorsque je m’éveillai, les nerfs tranquilles, un peu moins tard que de coutume, de ce demi-sommeil où l’on commence à observer, les yeux fermés, et à prêter l’oreille, la tête close, je me redonnai à Pœuf et m’affligeai encore de ne pas même savoir pourquoi il avait tué Barrateau. Je m’habillai, me débarbouillai, furieux de mal me rappeler une leçon difficile ; — puis, sur le point d’ouvrir une porte, alors que je cherchais mon père afin de lui souhaiter le bonjour, je l’entendis qui clamait, dans son bureau, d’une voix fâchée :