la verité que toutes choses se sentent de la perversité du temps[1]. C’est pourquoy je desire avec plus d’affection de voir la paix bien establie, et n’espargneray rien qui soit en mon pouvoir pour l’affermir et l’asseurer. Mais il semble que le retardement duquel usent les nostres mesmes apporte beaucoup de mal, par ce que nos adversaires, qui veulent juger par là quelles sont nos intentions, ne se peuvent persuader qu’il n’y ait de la feintise, nous blasment et nous accusent. De là se dressent entreprinses. De leur costé les affaires y marchent plus lentement ; ils entrent en des pensées et ne peuvent se fier en nos paroles ni promesses. Ce que je ne dis pas pour faire precipiter inconsiderement les nostres aux dangers, desquels neantmoings, en quelque part que ce soit, nous sommes environnez, sans la providence de Dieu ; mais pour le jugement que plusieurs font, qui ne savent l’estat des choses, et les veulent conduire selon leur sens particulier, ce qu’il est besoin que les mieulx advisez divertissent ; et, comme je vous ay dict, en cela et toutes aultres choses, je recevray tousjours et embrasseray vos bons advis et conseils. Lesquels je vous prie me despartir encore sur les praticques et menées qui se font par ceulx qui veulent bastir leur grandeur par la ruine des aultres, mesmement sur les derniers degres desquels ils semblent tascher à me dejecter et gaigner les devans, pour plus facilement me repoulser et renverser en bas. Cette trame se cognoist si manifestement, que peu de gens en doubtent. Et neant-
- ↑ Les austères docteurs du parti protestant blâmaient assez haut le relâchement des mœurs du roi de Navarre et de sa cour. Par plusieurs passages de cette lettre on peut supposer que Theodore de Bèze lui avait adressé des remontrances de ce genre. « Il faut, Sire, lui dit d’Aubigné dans une circonstance bien importante, que vous vous envisagiez sous quatre points de vue differens... mais le payement qu’il faut donner à ceux qui vous regardent comme le deffenseur de leur religion est plus difficile à faire ; car il est besoin contenter ces derniers par un grand zele pour leur cause, par une vie integre, par de bonnes actions et par de beaux exemples, puisque si vous estes leur superieur dans certains points, ils ne laissent pas aussi, à d’autres esgards, d’estre vos compagnons. » (Mémoires de la vie de Théodore-Agrippa d’Aubigné.)