Page:Henri IV - Lettres Missives - Tome1.djvu/633

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qui vivent aux despens de la ville et tiennent forme de garnison ; chose directement contraire aux edicts du Roy mon seigneur, et aux accords qui sont entre nous, pour le regard de la dicte ville, auxquels je m’asseure que vostre intention n’est de contrevenir. Je vous prie donc, mon Cousin, luy commander de les en faire sortir au plus tost ; car si on a voulu prendre l’alarme sur ce que je suis entré en ma maison du Mont de Marsan, je pense qu’elle doibt estre levée quand on aura sceu comme je me suis comporté, ainsi que je vous ay faict amplement entendre par Lambert, que je vous despeschay incontinent. C’est chose aultrement qui pourroit tirer avec soy une plus longue guerre ; qui me faict vous despescher Bissouse, m’asseurant que y pourvoyrés aussi-tost : et sur ce, mon Cousin, je prie le Createur vous tenir en sa garde. Du mont de Marsan, ce xxiiije novembre 1583[1].

Vostre plus affectionné cousin et asseuré amy,


HENRY.
  1. Aussitôt après la prise de Mont-de-Marsan, le roi de Navarre en avait donné avis à Montaigne, alors maire de Bordeaux, par une lettre qui ne nous est pas parvenue. Le lendemain de celle-ci, du Plessis-Mornay écrivit au célèbre auteur des Essais la lettre suivante, qui suppléera convenablement celle de son maître et qui complétera nos renseignements sur une des plus heureuses conquêtes de ce prince.

    À MONSIEUR DE MONTAGNE.

    « Monsieur, le Roy de Navarre vous a escrit comme il est entré en sa ville du Mont de Marsan ; l’insolence extreme de ses sujets et les remises sans fin de M. le mareschal lui ont fait prendre ceste voie. Vous sçavés que toutes nos affections ont quelque borne ; il estoit malaisé que sa patience n’en eust, mesmes puisque leur Folie n’en vouloit point avoir. Cependant Dieu nous a fait la grace que tout s’est passé avec fort peu de sang et sans pillage ; et vous puis asseurer que, sans la crainte du contraire, il y a six mois que nous pouvions estre dedans. J’estime que, par gens de consideration, ceste action ne sera mal interpretée. L’intention du Roy, selon ses edicts et mandemens, estoit que nous y rentrissions [ainsi]. La seule obstination de ceux de la ville supportée, comme les lettres que nous avons en main nous tesmoignent, nous y faisoit obstacle. C’est comme si les mareschaux des logis du Roi nous avoient donné un logis, et que, sur le refus de l’hoste, nous fissions obeïr la croie. Et j’ose vous dire plus, que sans encourir un mespris publiq, que je redoute trop plus que la haine, nous ne pouvions allonger nostre patience. À ceux qui en eussent peu prendre ou donner l’alarme, nous avons soigneusement escrit de toutes parts, et ne doivent presumer de ceste reprise de possession, ordinaire au moindre gentil-homme de ce roiaume, rien de publiq ni extreme. À vous qui n’estes, en ceste tranquillité d’esprit, ni remuant ni remué pour peu de chose, nous escrivons à autre fin : Non pour vous asseurer de nostre intention,qui vous est prou cognuë et ne vous peut estre cachée, soit pour nostre franchise, soit pour la pointe de vostre esprit ; mais pour vous en rendre plege et tesmoin, si besoin est, envers ceux qui jugent mal de nous, faute de nous voir, et par voir plustost par les yeux d’autrui que par les leurs. Que voulés-vous plus ? M. de Castelnau l’a fait, c’est vostre ami ; qui plus est, non suspect pour la religion, mais esmeu de la seule equité de nostre cause : Si quid peccatum dicunt in forma, compensetur velim in materia. Ce que certes nous faisons, avons fait et ferons, leur monstrant par effet qu’il nous est plus naturel de pardonner leurs fautes, qu’il ne leur seroit peut-estre de les amender. Sur ces entrefaites nous arrive M. de Bellievre, et vous scavés pourquoi. Gravitati ego sane silentium opponam. C’est la seur de mon Roi, la femme de mon maistre ; l’un agent en ce fait, l’autre patient : prudent qui emploie la prudence à ne s’y emploier point. Si on parle d’une satisfaction d’injure, ce n’est au serviteur à estimer celle de son maistre ; et qui n’est legitime estimateur de l’injure, de la satisfaction ne le sera-t-il point. Je le vous ai dit et le redis encore, si j’estois deschargé de ce faix, je sauterois, ce me semble, sous le bast et entre les coffres que je porte. Mais Dieu a voulu essaier mes reins soubs une charge plus forte, et je me confie en lui qu’elle ne m’accablera point. Hœc tibi, et tuo judicio. Au reste, faites estat de nostre amitié comme d’une tres ancienne et toutesfois toujours recente ; et de mesme foi je le fai de la vostre, que je pense cognoistre en la mienne mieulx qu’en toute aultre chose. Vous en ferés la preuve ou et quand il vous plaira, et me trouverés, sans exception, etc. » (Mémoires de messire Philippes de Mornay, seigneur du Plessis-Marli, etc. t. I, p. 273 de l’édit. in-4o, imprimée en 1624.)