Page:Henri Poincaré - Dernières pensées, 1920.djvu/249

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coup de pouce donné à l'expérience, quand nous nous serons accoutumés à redouter comme le comble du déshonneur, le reproche d'avoir même innocemment quelque peu truqué nos résultats, quand cela sera devenu pour nous un pli professionnel indélébile, une seconde nature, n'allons-nous pas porter dans toutes nos actions ce souci de la sincérité absolue, au point de ne plus comprendre ce qui pousse d'autres hommes à mentir ; et n'est-ce pas le meilleur moyen d'acquérir la plus rare, la plus difficile de toutes les sincérités, celle qui consiste à ne pas se tromper soi-même?

Dans nos défaillances, la grandeur de notre idéal nous soutiendra ; on peut en préférer un autre, mais, après tout, le Dieu du savant n'est-il pas d'autant plus grand qu'il s'éloigne de plus en plus de nous ? Il est vrai qu'il est inflexible, et bien des âmes le regretteront ; mais du moins il ne partage pas nos petitesses et nos rancunes mesquines comme le fait trop souvent le Dieu des théologiens. Cette idée d'une règle plus forte que nous, à laquelle on ne peut se soustraire et on doit s'accommoder coûte que coûte, peut avoir aussi un effet salutaire ; on peut tout au moins le soutenir ; ne vaudrait-il pas mieux que nos paysans crussent que la loi ne peut jamais plier, au lieu de croire que le gouvernement va la faire fléchir en leur faveur, pour peu qu'ils