Page:Henri Poincaré - Dernières pensées, 1920.djvu/261

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toujours d'accord avec l'intérêt général. Ils nous diront que l'homme, entraîné par le tourbillon de la vie, n'a pas le temps de réfléchir à toutes les conséquences de ses actes ; qu'il ne peut obéir qu'à des préceptes généraux ; que ceux-ci seront d'autant moins discutés qu'ils seront plus simples, et qu'il suffit, pour que leur rôle soit utile et pour que, par conséquent, la sélection puisse les créer, qu'ils s'accordent le plus souvent avec l'intérêt général. Les historiens nous expliqueront comment des deux morales, celle qui subordonne l'individu à la société et celle qui a pitié de l'individu et nous propose pour but le bonheur d'autrui, c'est la seconde qui fait d'incessants progrès, à mesure que les sociétés deviennent plus vastes, plus complexes, et, tout compte fait, moins exposées aux catastrophes.

Cette science des mœurs n'est pas une morale ; elle n'en sera jamais une ; elle ne peut pas plus remplacer la morale qu'un traité sur la physiologie de la digestion ne peut remplacer un bon dîner. Ce que j'ai dit jusqu'ici me dispense d'insister.

Mais ce n'est pas de cela qu'il s'agit ; elle n'est pas une morale, mais peut-elle être utile, peut-elle être dangereuse pour la morale ? Les uns diront qu'expliquer c'est toujours, dans une certaine mesure, justifier, et cela peut aisément se soutenir ; les autres diront au contraire qu'il n'est pas sans péril de nous montrer la morale diverse sui-