Page:Henri Poincaré - Dernières pensées, 1920.djvu/264

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former. Mais on continuerait à aimer l'homme de bien, comme on aime tout ce qui est beau ; on n'aurait plus le droit de haïr l'homme vicieux qui n'inspirerait plus que le dégoût, mais cela est-il bien nécessaire ? Il suffit qu'on ne cesse pas de haïr le vice.

À part cela, tout irait comme par le passé; l'instinct est plus fort que toutes les métaphysiques, et quand même on l'aurait démontré, quand même on connaîtrait le secret de sa force, sa puissance n'en serait pas affaiblie. La gravitation est-elle moins irrésistible depuis Newton ? Les forces morales qui nous mènent continueraient à nous mener.

Et si l'idée de liberté est elle-même une force, comme le dit Fouillée, cette force serait à peine diminuée, si jamais les savants démontraient qu'elle ne repose que sur une illusion. Cette illusion est trop tenace pour être dissipée par quelques raisonnements. Le déterministe le plus intransigeant continuera longtemps encore, dans la conversation de tous les jours, à dire je veux et même je dois, et même à le penser avec la partie la plus puissante de son âme, celle qui n'est pas consciente et qui ne raisonne pas. Il est tout aussi impossible de ne pas agir comme un homme libre quand on agit, qu'il l'est de ne pas raisonner comme un déterministe quand on fait de la science.

Le fantôme n'est donc pas si redoutable qu'on le