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SULLY PRUDHOMME

Le rêve semble doux, et pourtant il l’eût sans doute conduit au pessimisme le plus amer, à celui qui lui a inspiré le Vœu et la Vie de loin. C’est l’idée de l’action qui l’a sauvé ; il en comprenait la grandeur, bien qu’il fût incapable d’agir.

Il était hanté par le sentiment du devoir social, par la pensée de ceux qui travaillent et qui souffrent, et ce n’était pas seulement par pitié, mais par la crainte de bénéficier tranquillement d’une injustice.

Comme tous les jeunes gens de sa génération, il se laissait séduire par les utopies humanitaires ; déjà il croyait voir les nations réconciliées. Effacée par l’éclat de ce radieux avenir, l’image de la patrie semblait s’obscurcir.

Soudain la foudre éclata ; Paris connut les horreurs du siège. À cette époque, Sully venait d’être éprouvé par une série de deuils cruels. Sa mère, l’oncle et la tante avec qui il vivait, lui avaient été enlevés en quelques semaines. Tant de coups successifs avaient irrémédiablement ébranlé sa santé ; il s’engagea néanmoins dès le premier jour et il