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SULLY PRUDHOMME

bête. Qu’on se rappelle les vers des Épaves :


Il n’en pourrait jouir qu’en devenant un autre,
Mais l’être que voilà, qu’en feras-tu, mon Dieu !


Faustus et Stella se retrouvent après leur mort sur une planète heureuse, où l’imagination du poète a accumulé tout ce qu’elle a pu rêver d’harmonie et de beauté. Est-ce là le bonheur ? non, l’homme se sent déchoir s’il cesse de lutter. Il se lasserait vite de cette félicité vide d’action et vide d’émotion. Il y a dans le poème un épisode qui me semble caractéristique. Stella se met à chanter ; sa voix n’est plus terrestre :


Il n’y languit plus de soupir…
Il n’y passe plus de frisson…
Il n’y tinte plus de sanglot…


Mais qu’est-ce donc qu’une musique où il n’y a ni soupir, ni frisson, ni sanglot !

Sans doute ils s’ennuieraient promptement s’ils n’avaient le souvenir de la Terre ; mais ce souvenir même est un tourment ; là-bas, des malheureux souffrent encore. Les âmes délicates ne sauraient concevoir un paradis à