Page:Henry George - Progrès et Pauvreté.djvu/151

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

animal dont les désirs augmentent quand ils sont satisfaits ; le seul animal qui ne soit jamais rassasié. Les besoins des autres êtres vivants sont uniformes et fixes. Le bœuf de nos jours n’aspire pas à autre chose que le premier bœuf que l’homme mit sous le joug. La mouette qui se pose sur les rapides steamers du Canal Anglais n’a pas besoin d’une meilleure nourriture ou d’un plus beau nid que la mouette qui tournait en rond autour des galères de César abordant pour la première fois sur une plage bretonne. De tout ce que la nature offre aux êtres vivants, ils ne prennent, l’homme excepté, que ce qu’il leur faut pour satisfaire leurs besoins qui sont définis et fixes. La seule manière dont ils puissent consommer des quantités supplémentaires, c’est de multiplier.

Il n’en est pas de même de l’homme. Ses besoins animaux ne sont pas plutôt satisfaits que naissent chez lui d’autres besoins. Il lui faut d’abord de la nourriture comme aux bêtes ; puis un abri, comme aux bêtes ; ensuite ses instincts reproducteurs affirment leur empire, comme ceux des bêtes. Mais ici l’homme et la bête se séparent. La bête ne va pas au delà ; l’homme n’a fait que mettre le pied sur le premier degré d’une progression infinie, progression que ne connaît jamais la bête ; progression en dehors et au-dessus de ce que peut connaître la bête. Après avoir trouvé la quantité, l’homme cherche la qualité. Les désirs qu’il partage avec la bête, il les étend, les raffine, les élève. Ce n’est plus simplement pour satisfaire sa faim, mais encore pour satisfaire son goût qu’il cherche sa nourriture ; il veut que ses vêtements le couvrent et le parent ; la hutte grossière devient une maison ; l’attrait sexuel aveugle se change en influences subtiles ; et la tendance commune et grossière de la vie animale à fleurir et à fructifier revêt des formes d’une délicate beauté. À mesure qu’augmente la puissance de satisfaire ses besoins, les aspirations de l’homme croissent aussi. En s’en tenant aux niveaux inférieurs du désir, on voit Lucullus soupant avec Lucullus ; douze porcs mis à la broche pour qu’Antony puisse