Page:Henry George - Progrès et Pauvreté.djvu/536

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D’où viendront les nouveaux barbares ? Allez dans les quartiers misérables des grandes villes, et vous verrez, dès aujourd’hui, leurs hordes assemblées ! Comment le savoir pourra-t-il disparaître ? Les hommes cesseront de lire, et les livres serviront à allumer les feux et à faire des cartouches !

C’est effrayant de penser combien notre civilisation laissera peu de traces, si elle doit passer par l’agonie qui a accompagné le déclin de toutes les civilisations précédentes. Le papier ne résistera pas comme le parchemin ; nos constructions et nos monuments les plus massifs ne peuvent être comparés, comme solidité, avec les temples taillés dans le roc, et les édifices gigantesques des vieilles civilisations[1]. Et l’invention nous a donné non seulement la machine à vapeur, mais la presse à imprimer, le pétrole, la nitro-glycérine, et la dynamite.

Insinuer aujourd’hui que notre civilisation peut tendre au déclin, cela semble venir d’un esprit sauvagement pessimiste. Les tendances spéciales que j’ai indiquées sont évidentes pour tous les hommes qui réfléchissent, mais chez la majorité des hommes qui réfléchissent, comme chez les masses, la croyance au progrès réel est encore très profonde et très forte, croyance fondamentale qui n’admet pas l’ombre d’un doute.

Et cependant ce déclin est réellement proche, les choses se passent comme elles le doivent nécessairement, partout où le progrès se change graduellement en décadence. Car dans le développement social, comme dans tout autre, le mouvement tend à persister en lignes droites ; il est donc très difficile, là où antérieurement il y a eu progrès, de constater le déclin, même lorsqu’il est nettement commencé ; on est presque irrésistiblement entraîné à croire que le mouvement en avant qui a été un progrès et qui continue, est encore un progrès. Le tissu de croyances, de coutumes, de lois, d’institutions, et d’habi-

  1. Il me parait instructif de faire remarquer quelle idée fausse on se ferait de notre civilisation d’après les monuments funéraires et religieux de notre temps, monuments qui sont tout ce qui nous reste pour nous faire une idée des civilisations ensevelies.