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LES TROPHÉES


Le vin rit dans l’argent des brocs ; le coutelas
Dégainé, l’écuyer, ayant troussé sa manche,
Laisse échauffer le vin et refroidir les plats.

Car le maître et seigneur n’a pas dit : Que l’on tranche !
Depuis que dans sa chaise il est venu s’asseoir,
Deux longs ruisseaux de pleurs mouillent sa barbe blanche.

Et le grave écuyer se tient près du dressoir,
Devant la table vide et la foule béante,
Et nul, fils ou vassal, ne soupera ce soir.

Comme pour ne pas voir le spectre qui le hante,
Laynez ferme les yeux et baisse encor le front ;
Mais il voit son fils mort et sa honte vivante.

Il a perdu l’honneur, il a gardé l’affront ;
Et ses aïeux, de race irréprochable et forte,
Au jour du Jugement le lui reprocheront.

L’outrage l’accompagne et le mépris l’escorte.
De tout l’orgueil antique il ne lui reste rien.
Hélas ! hélas ! Son fils est mort, sa gloire est morte !