Page:Hermant, La petite esclave 1914.djvu/44

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souvent aussi, ils en revenaient plus anxieux et plus désespérés, affolés par l’impur et contagieux spectacle de tout un peuple en folie.

Vers ce temps-là, il y eut une foire au Caire, sur l’une des plus vastes places, dans un quartier excentrique. Ahmed, qui savait maintenant un grand nombre de mots français, parla de cette foire à Henri, mais longtemps ne put éveiller la curiosité de l’artiste. Enfin le maître décida qu’un soir il conduirait les enfants au mouled.

L’âne, qui ne travaillait plus guère, était plus fringant que jamais. Henri eut peine à se mettre en selle. Marika se plaça sur la croupe et Ahmed allant à pied, ils partirent dans la direction de Mataryeh où est l’obélisque, et le sycomore de la Vierge.

Non loin des portes de la ville, la route de Mataryeh aboutit à une esplanade plus vaste qu’à Paris la place de la Révolution, et d’ailleurs sans limites précises, entourée de champs qui à cette époque n’étaient que des plaines arides.

Une foule lente y circulait, plus qu’ordinairement avare de ses mouvements, mais toujours bavarde, rieuse et cordiale. Aux abords de la place, des marchands vendaient ces sucreries roses qui représentent des dromadaires et des crocodiles. Des femmes dansaient en de misérables boutiques, où l’on vendait aussi du café.

Mais sur la place même il n’y avait point de commerce ni d’exhibition, et rien qu’un spectacle unique plus de cent fois répété.

Des tentes immenses en toile grise, décorées d’applications jaunes, rouges, vertes, bleues, étaient rangées tout autour. Des piquets, fixés par des cordes, maintenaient ouvert un des panneaux de la toile. À l’intérieur, des hommes étaient accroupis sur un divan et d’autres, se tenant par la main, formant le cercle, piétinaient un tapis sacré.

Ils se dandinaient, ils appuyaient alternativement, et deux fois de suite, sur chaque pied, en répétant, d’une cadence essoufflée, le mot Allah… Allah… Allah… Allah… Et en même temps ils jetaient la tête tantôt à gauche, tantôt à droite, dans un ballottement régulier. Au seuil de chaque tente, un peuple haletant les regardait.

La sueur perlait en grosses gouttes sur leur front. Leur souffle devenait peu à peu rauque, et accompagnait d’un râle déchirant leur psalmodie. Leurs yeux humides, d’un blanc de nacre, où l’iris faisait une tâche toute noire, leurs yeux d’un blanc luisant et sans transparence comme celui des poissons, s’extasiaient, se convulsaient. On entendait leurs dents grincer. Et tout d’un coup, un s’effondrait par terre, à plat ventre, comme une masse. L’épaisseur du turban amortissait le choc de son front contre le