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MAJOGBÉ.

— Je comprends, répondait Majogbé. Toutes ces choses pour lesquelles tes hommes se donnent de la peine et qui, me dis-tu, coûtent beaucoup d’argent, toutes ces choses te servent pour éviter la chaleur du soleil, le froid de la nuit, l’eau des pluies.

— Oui.

— Et c’est tout… Eh bien, nous avons chez nous des cases dans lesquelles ne pénètrent pas les rayons du soleil, non plus que les humidités de la nuit, non plus que les pluies du ciel.

À table, devant le luxe et les complications des services, des cristaux, des plats, des mets, des vins, des liqueurs, des pâtisseries, il avait dit :

— Nous aussi, nous mangeons et nous buvons.

Une promenade dans le bazar de la maison de commerce — vaste magasin dans lequel se trouvaient réunis tous les objets que l’industrie d’Europe fabrique pour la traite — ne parut pas l’émouvoir davantage. Devant les étoffes brillantes, chatoyantes, les quincailleries aveuglantes, les bibelots faits pour séduire un œil de primitif par leurs tonalités hardies, raccrocheuses, il resta impassible, comme dans une clairière de la forêt, devant les orchidées aux formes et aux couleurs tourmentées. Il ne voulait point offrir son étonnement, son admiration au jeune homme blanc. Son œil de sauvage, qui juge, devine, pénètre au fond des âmes, avait vu tout de suite quelles impressions le blanc désirait observer en lui. Il se refusait, se fermait, impéné-