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MAJOGBÉ.

comme la toison des jeunes moutons réservés aux fêtes de Chango ; il est blanc comme les pigeons qu’Ifa demande et il me couvre.

Ces deux jeunes hommes s’analysaient mutuellement.

Le blanc voyait le noir impassible et pensait :

« Ce garçon avait une physionomie intelligente, un regard qui paraissait chercheur, curieux. Je lui ai montré des choses qui devraient beaucoup l’intéresser, il les trouve naturelles et ne fait aucune différence entre les produits de son industrie primitive, barbare, et ceux de notre industrie savante. Il ne comprend pas, il n’essaye pas de comprendre. C’est une brute comme tous les autres. »

Le noir voyait le blanc dépité et suivait sa pensée dans ses yeux, sur son front. Il comprenait, il se disait à lui-même :

« Le blanc croit que je suis une bête. Je sais ce qu’il y a de bon dans ses objets ; je l’achèterai. Mais le blanc a tort d’être aussi fier. $es génies lui ont donné tout cela ; les nôtres nous en donneront autant quand cela nous sera nécessaire. »

Majogbé ne demanda d’explications que pour deux choses : des fusils très petits, qui pouvaient se cacher sous le pagne et tuaient beaucoup d’hommes à la fois ; une eau qui brûlait dans les lampes et, une fois en feu, ne s’éteignait plus. Il acheta deux bonbonnes de cette eau et trois fusils avec leurs balles, qui partaient sans poudre, sans feu.