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MAJOGBÉ.

sera, comme ces derniers, un cheval esclave, et, quand il passera au galop dans les brousses qui lui rappelleront celles au milieu desquelles il apprit à marcher, il soufflera du feu. Celui qui a été l’enfant d’un grand chef pourra être esclave dans une autre maison, mais il n’oubliera jamais qu’il était né lui-même pour commander ; il ne perdra pas le souvenir du chef dont il est la chair et dont il porte la marque ineffaçable. Et cette marque-là, je l’ai encore regardée, je la reconnais. Le vieil Adamou a bonne mémoire ; il ne se trompe pas. La chose qu’il vit une fois reste toujours devant ses yeux. Cette marque, c’est moi qui te l’ai faite. Alors tu étais bien petit ; ta mère ne l’avait pas encore donné ton premier sokoto. Tu ne peux te rappeler le barbier qui déjà était vieux et avait vu beaucoup de choses, beaucoup de pays… Mais Kosioko, mais ta maison… les dieux n’ont pas enlevé cela de ton cœur ; ils auraient enlevé ton cœur ! Moi aussi, j’ai été pris enfant dans une maison de chef qui était la mienne ; j’ai été traîné de case en case et vendu à bien des maîtres avant de devenir libre. Eh bien, je n’ai pas oublié le guerrier qui était mon père.

Majogbé était méfiant ; il ne se livrait pas. Il avait appris que les plus beaux discours peuvent être trompeurs et que les paroles qui semblent enroulées dans l’huile douce peuvent cacher les poisons qui brûlent. Il savait que les vieux ont plus que les autres hommes le visage qui séduit, la voix qui