Page:Hetzel - Le Diable a Paris - tome 1 (1845).djvu/78

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

donc te peindre que les misères du coin du feu, et valent-elles la peine d’être dites ? Le seul moyen d’y échapper, c’est, diras-tu, de sortir de chez soi. Où aller dans Paris, à moins qu’on n’y soit forcé ? où trouver le ciel qu’on puisse regarder sans heurter les passants et sans se faire écraser par les voitures, pour peu qu’on n’ait pas la faculté de regarder à la fois en l’air et devant soi ? où respirer un air pur ? où entendre des harmonies naturelles ? où rencontrer des figures calmes et des allures vraies ? Tout ce qui n’est pas maniéré par l’outrecuidance, ou stupide comme la préoccupation du gain, est triste comme l’ennui, ou affreux comme le malheur. Tout ce qui ne grimace pas pleure, et ce qui par hasard ne grimace ni ne pleure est tellement effacé ou hébété, que les pavés usés par les pas de la multitude ont plus de physionomie que ces tristes faces humaines. Que se passe-t-il donc dans cette ville riche et puissante, pour que la jeunesse y soit flétrie, la vieillesse hideuse, et l’âge mûr égaré ou sombre ? Regarde ces masures décrépites et puantes auprès de ces palais élevés d’hier. Regarde ce monde d’oisifs qui marche dans l’or, dans la soie, dans la fourrure et dans la broderie ; et, tout à côté, vois se traîner ces haillons vivants qu’on appelle la lie du peuple ! Écoute courir ces légers et brillants équipages ; entends ces cris rauques du travail et ces voix éteintes de la misère ! La plus nombreuse partie de la population condamnée au labeur excessif, à l’avilissement, à la souffrance, pour que certaines castes privilégiées aient une existence molle, gracieuse, poétique et pleine de fantaisies satisfaites ! Oh ! pour voir ce spectacle avec indifférence, il faut avoir oublié qu’on est homme, et ne plus sentir vibrer en soi ce courant électrique de douleur, d’indignation et de pitié qui fait tressaillir toute âme vraiment humaine, à la vue, à la seule pensée du dommage ou de l’injure ressentis au dernier, au moindre anneau de la chaîne.

Mais où donc, me diras-tu, espérer de fuir ce monstrueux contraste ? Oh ! je sais bien qu’il est partout, et que d’ailleurs le devoir n’est pas de fuir la souffrance et d’apaiser son cœur dans le repos de l’égoïsme. S’il existait sur la terre un sanctuaire réservé, une société d’exception, où, dans quelque île enchantée, on pût aller s’asseoir au banquet de la fraternité, ce serait peut-être là qu’il faudrait faire un pèlerinage une ou deux fois dans sa vie, pour s’instruire et se retremper ; mais ce ne serait pas là que l’on