Page:Hetzel - Le Diable a Paris - tome 1 (1845).djvu/81

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maine des demeures vastes, nobles, saines et riches. Ces tableaux, ces statues, ces bronzes, cet orchestre, ces belles étoffes, ces gracieux ornements de pierreries au front des femmes, tout ce luxe, c’est l’œuvre de l’art : et l’art est une mission divine que l’Humanité doit poursuivre et agrandir sans cesse. Ces artistes, qui cherchent là des jouissances exquises, échange bien légitime des jouissances données par eux-mêmes à la société, ils ont le droit d’aimer le beau, et ils obéissent à leur instinct supérieur en cherchant à s’y retremper sans cesse. Oui, l’Humanité a droit à ces richesses, à ces aises, à ce luxe, à ces plaisirs, à ces satisfactions matérielles et intellectuelles. Mais c’est l’Humanité, entendez-vous ? c’est le monde des humains, c’est tout le monde qui doit jouir ainsi des fruits de son labeur et de son génie, et non pas seulement votre petit monde qui se compte par têtes et par maisons. Ce n’est pas votre monde de fainéants et d’inutiles, d’égoïstes et d’orgueilleux, d’importants et de timides, de patriciens et de banquiers, de parvenus et de pervertis ; ce n’est pas même votre monde d’artistes vendus au succès, à la spéculation, au scepticisme et à une monstrueuse indifférence du bien et du mal. Car tant qu’il y aura des pauvres à votre porte, des travailleurs sans jouissance et sans sécurité, des familles mourant de faim et de froid dans des bouges immondes, des maisons de prostitution, des bagnes, des hôpitaux auxquels vous léguez quelquefois une aumône, mais dans lesquels vous n’oseriez pas entrer, tant ils diffèrent de vos splendides demeures, des mendiants auxquels vous jetez une obole, mais dont vous craindriez d’effleurer le vêtement immonde ; tant qu’il y aura ce contraste révoltant d’une épouvantable misère, résultat de votre luxe insensé, et des millions d’êtres victimes de l’aveugle égoïsme d’une poignée de riches, vos fêtes feront horreur à Satan lui-même, et votre monde sera un enfer qui n’aura rien à envier à celui des fanatiques et des poëtes.

Mais, diras-tu, faut-il mettre le feu aux hôtels ou fermer la porte des palais ? faut-il laisser croître la ronce et l’ortie sur ces marbres, aux marges de ces fontaines ? faut-il que la beauté revête le sac de la pénitence, que les artistes partent pour la Terre-Sainte, que les arts périssent pour renaître sous une inspiration nouvelle, que la société tombe en poussière afin de se relever comme la Jérusalem céleste des prophètes ? Tout cela serait bien