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un autre écho répondit, plus lointain, la voix plus frêle…

Claire écoutait et regardait extasiée, immobile, oubliant qu’elle était chez le prochain, sans autorisation, voire même par escalade : double délit…

« Bonjour, madame. Comment que vous vous appelez ?

— Bonzour, madame. »

La jeune fille se retourna vivement. Était-ce à elle que s’adressaient ces souhaits de bienvenue et cette question ?

Elle abaissa les yeux.

Deux enfants hauts comme rien se tenaient plantés au milieu de l’allée ; deux garçons ne se ressemblant point de visage, mais exactement de même taille et vêtus de costumes pareils : bras nus jusqu’au coude, jambes nues jusqu’au genou, le béret en bataille, la ceinture à large boucle serrant leurs tailles menues ; — les deux frères, à n’en pas douter, encore que l’un, le brun, eût des traits d’une extrême finesse, et que l’autre, un gros frisé châtain clair, fût surtout remarquable par les fossettes qui se creusaient dans les joues, au menton, et par un front volontaire surmontant des yeux bruns, où éclatait la malice.

« Qui vous êtes ? redemanda celui qui avait posé la première question.

— Et vous, qui êtes-vous ? s’informa Claire surprise de voir ces deux enfants se promener si loin de l’habitation, dans ce parc où, pour des bébés de leur âge, des accidents de toute nature étaient à redouter.

— Moi j’es Lilou, répondit le brun aux traits de prince, et lui, il est Pompon.

— Vous êtes les deux frères ?

— Non, expliqua Lilou, prenant un air capable : moi j’es le garçon, et Pompon il est mon frère… ju… ju… jumeau.

— Ah ! très bien, fit Claire en riant ; j’ai compris : le garçon, c’est-à-dire l’aîné.

— Madame, tu veux que ze monte vers toi ? demanda Pompon.

— Monte.

— Ah mais ! faut me tiendre.

— Fais le tour du rocher, par là-bas tu grimperas seul, aisément. Si tu crois que je vais me déranger pour toi ! »

Pompon se mit à crier, et tapant des pieds, soudain furieux :

« Ze veux que tu viendes me prendre.

— Et moi je n’y veux pas aller, repartit Claire sans s’émouvoir. Vous vous promenez seuls ? », demanda-t-elle à Lilou, qui, lui, ne disait rien.

Avant de répondre, celui-ci commanda à son frère :

« Tais-toi donc ! »

Et il lui administra une gifle.

Pompon en rendit deux, et les voilà à se battre comme de petits tigres.

« C’est plein de charme ! se dit Claire. Quels délicieux enfants ! À qui peuvent-ils bien être ? Au régisseur ou à quelque fermier… Les fils du châtelain sont mieux surveillés et… mieux élevés, je suppose. »

Elle prit le parti de descendre, sépara les bambins et, se plaçant entre eux :

« Vous allez vous taire, et vivement ! commanda-t-elle d’un ton impératif. Vous me cassez la tête avec vos cris. »

Pompon glissa vers elle, de côté, un regard malin et s’informa :

« Tu nous donnes qué de çoze, pour nous taire ? Nounou, elle nous donne touzours qué de çoze.

— Où est-elle, Nounou ?

— Elle s’a tuyé une zambe, on l’a coucée, elle bouze pas ; nous la voyons plus.

— Et vos parents, où sont-ils ? »

Les deux bébés se consultèrent du regard. Ils s’étaient rapprochés ; la querelle était oubliée.

« Parents…, murmura Lilou… Sais pas !

— Votre maman, précisa Claire, vous ne savez pas où est votre maman !

— Une maman ! fit Lilou d’un air réfléchi. Ah ! oui !… je sais quoi que c’est. »