« Nous voulons que tu viens tout de suite, déclarèrent-ils ; ou bien nous allons crier.
— Voilà qui m’est égal ! Si vous croyez que cela me touche de vous entendre pleurer par caprice ! Où sont vos bonnes ?
— Elles « boulottent », répondit Lilou.
— Hein ! Qu’est-ce que c’est que ce mot ? Qui vous l’a appris ?
— Césaire.
— Qui ça, Césaire ?
— Le cocher. Quand la cloche sonne pour les domestiques, il dit : « Bon, on va boulotter ! »
— Elles mangent donc toute la journée, vos bonnes ?
— Pas toute la zournée, fit Pompon, à présent.
— Hier, à trois heures, elles lunchaient. Aujourd’hui, à une heure, elles « boulottent ».
Et vous, quand donc « boulottez » -vous ?
— Avant, repartit Lilou, toujours empressé à prendre la parole. On nous met dans la salle à manger. Kate nous sert. Tout le temps elle dit : « Dépêchez-vous, Lilou ; dépêchez-vous, Pompon. » Elle veut pas nous donner deux fois de la crème. Et elle nous bat quand nous crions.
— Voilà des enfants bien gouvernés », songea Claire.
Et cette pitié, qui, la veille, s’était manifestée déjà, se réveilla plus vive.
« Pauvres petits diables ! Point de maman, « zamais ! zamais ! » comme dit Pompon. »
Sa pensée alla caresser là-bas, dans son dur exil, la mère qui la chérissait si fort.
Et son cœur s’émut.
« C’est bon, d’être aimée, d’avoir une maman, on ne s’en doute pas… », fit-elle avec une tristesse étonnée.
S’adressant aux deux petits :
« Allez jouer dans votre chambre bien gentiment, et, demain, s’il fait beau… »
Elle s’interrompit soudain pour s’informer :
« Vous n’avez pas parlé de moi à vos bonnes, au moins ?
— Non, assura Lilou ; rien qu’à papa, dans nos lettres.
— Allons ! c’est encore mieux !
Lilou prit ce « mieux » pour une approbation et battit des mains, criant :
« Tu vas viendre, puisque je l’ai écrit à papa.
— Vous m’ennuyez, tenez ! Vous êtes de petits idiots. »
Et, exaspérée, ne sachant que résoudre, elle rentra chez elle et ferma le volet.
« Que va penser M. de Kosen ? Pour qui me prendra-t-il ? Pour une voisine indiscrète, une petite provinciale à l’affût de ce qui se passe chez les autres… Après tout, j’ai fait ce qu’il fallait pour être jugée ainsi : il serait dans son droit… »
Puis, ramenée aux enfants, cherchant le moyen de les faire venir chez grand’mère sans dévoiler l’existence de l’escalier, ce qu’elle jugeait prématuré :
« Pauvres bonshommes ! battus s’ils ne mangent pas assez vite ! c’est raide ! Maman ne m’a jamais confiée à une bonne, si ce n’est à notre vieille Toinon ; mais Toinon m’aimait… Battre des enfants qu’on a la charge de servir et d’instruire !… Car cette Allemande et cette Anglaise sont là pour enseigner leurs langues à ces bambins… De quoi vais-je m’occuper, au fait ! Descendons auprès de grand’mère, puisque je l’ai promis. Ce que ces trois bonnes vieilles doivent être récréatives ! J’en baille à l’avance. Qu’elles ne comptent pas sur moi pour une quatrième aux dominos ! Je me récuse. »
Ce fut justement par la proposition de prendre part au jeu qu’on salua le retour de Claire.
Elle refusa d’un ton décidé, déclarant :
« Merci ; j’ai les dominos en horreur.
— Si tu préfères jouer aux cartes, insinua grand’mère…
— Ah ! Dieu non ! Faites comme si je n’étais pas là !
— C’est que, reprit Pétiôto, si tu avais con-