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— Alors, vous pourriez tourner la bouillie ; moi, j’ai deux poêles à récurer.

— De la bouillie ! s’écria Claire étonnée.

— Voui. C’est avec ça qu’on fait la frangipane. La laissez pas brûler, surtout ! Faut pas que ça se quitte. »

Tout en donnant ces instructions à la jeune fille, Modeste délayait le lait sucré et parfumé avec de la farine.

Elle sortit après en avoir confié la garde à son aide improvisée.

Armée d’une cuillère de bois, celle-ci tournait la mixture, veillant à ce qu’elle ne s’attachât point au fond de la casserole, ainsi que le lui avait commandé le jeune cordon-bleu.

Et elle songeait :

« Je ferai faire deux tout petits gâteaux que je donnerai demain à Lilou et à Pompon : ils m’amusent, ces bonshommes ! »

Elle ne le constatait point sans surprise. C’était la première fois que des bambins de cet âge parvenaient à l’intéresser.

Chose curieuse, c’était par leurs défauts, leurs colères, leurs disputes de petits animaux sauvages qu’ils lui étaient sympathiques. Elle les eût fuis, comme elle avait fait jusqu’ici des autres enfants, s’ils eussent ressemblé à ces jolies poupées vivantes, jouant, en leurs beaux atours, dans les grands jardins bien peignés des villes.

P. Perrault.

(La suite prochainement.)


CONTES ARABES

L’AUBERGE

À M. Hinglais.


Mechmech était né aux Beni-Khalfoun, et n’avait jamais quitté son douar. Pauvre berger, il passait ses jours à errer, avec le troupeau de son maître, dans les ravins profonds et sur les pentes abruptes de ses montagnes natales. Le soir, après un maigre repas, il se couchait, rompu de fatigue, et dormait sans rêves, pour reprendre, le lendemain, la même existence monotone.

Un désir l’obsédait : voir Alger, la grande ville, dont on racontait tant de choses extraordinaires, où les Roumias circulaient le visage découvert, où brûlaient, la nuit, des lampes si nombreuses, si brillantes que l’on ne s’apercevait pas de l’absence du soleil ! Voir la mer, surtout, la mer sur laquelle flottaient de véritables maisons chargées de centaines de bœufs et de moutons, de marchandises de toute sorte. Qu’était-ce donc que cette vaste plaine liquide ? D’où venait-elle ? Où allait-elle ? Comment se pouvait-il faire qu’il y eut tant d’eau réunie, alors qu’aux Beni-Khalfoun il y en avait à peine assez pour désaltérer les hommes et les bêtes ? N’était-ce pas (comme les voitures roulant, sans chevaux, avec une vitesse désordonnée, sur des rubans de fer) une de ces inventions qui prouvent que les Roumis sont les alliés du démon ?

Son désir se trouva inopinément réalisé. Un mercanti vint acheter un grand nombre de moutons dans le pays ; il proposa à Mechmech de l’aider à les conduire à Alger, où ils devaient être embarqués pour la France ; on offrit au berger ébloui un douro — la moitié de son salaire mensuel ! — pour ce voyage de cinq ou six jours. Il accepta la proposition, avec une joie mêlée d’inquiétude : il se figurait qu’il allait courir les plus graves périls, au milieu de ces Infidèles, ennemis de Dieu et de son prophète. Mais la curiosité l’emporta sur la crainte.

Le voyage s’accomplit sans incident notable. On cheminait à la fraîcheur de la nuit, sous la