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à sa connaissance, du moins, rien d’obscur dans leurs affaires de famille.

Pour Vielprat… Il ne savait. Ce petit château lointain s’était effacé de sa mémoire.

Une fois, lors de son mariage, au contrat il en avait été question. Et comme, surpris d’entendre citer dans ses apports une terre dont il n’avait plus même souvenance, Hervé interrogeait sa mère à ce propos, elle lui avait fait lire une annotation consignée en marge de l’acte de propriété :

« Vielprat, terre de peu de valeur, mal située, inabordable par absence de routes, impossible à surveiller, et malaisée à faire régir : s’en défaire. »

Il était resté songeur un instant, puis il avait demandé à la despotique douairière :

« Je connais cette résidence ?

— Oui, mais tu ne peux pas te la rappeler.

— En effet le nom ne me dit rien. »

Ce fut tout…

Depuis la mort de sa mère, le nom de Vielprat passait sous les yeux de de Kosen aux époques où le notaire lui adressait les fonds provenant de la vente des bois situés en deçà de la Méjeanne, et dont une grande partie lui appartenait.

Un post-scriptum, toujours le même, terminait chaque lettre d’envoi :

« J’ai le regret de vous apprendre, monsieur le baron, qu’il ne s’est présenté encore aucun acquéreur. »

Cela laissait le jeune homme indifférent. Les revenus rentraient, la vente pouvait attendre sans dommage.

Le jour où, placé en face de ses souvenirs, de Kosen conclut à la nécessité de se rendre à Vielprat, son premier soin fut de s’assurer d’un compagnon de voyage.

Il se rendit chez Claude Murcy, toujours « Yucca » pour ses camarades d’atelier et ses amis.

Amis, lui et Hervé l’étaient depuis le régiment.

C’était Yucca qui avait donné des leçons de peinture au jeune baron ; c’était lui qui l’avait aidé dans la lutte à soutenir contre sa mère pour obtenir le droit de « travailler ».

Pus tard, Gisèle avait condescendu à recevoir le peintre, jugeant de bon goût de paraître encourager l’art.

Rien n’avait donc entravé les amicales relations des deux jeunes gens.

Depuis son veuvage, c’était auprès de Murcy et de sa femme qu’Hervé avait trouvé le meilleur réconfort. C’était à eux qu’il confiait ses enfants quand il lui fallait s’absenter.

Aussi ce fut tout de suite à Yucca qu’il pensa comme confident, conseil, compagnon de route.

À l’automne, ils se rendirent au Puy, et de là, sac au dos, en touristes, gagnèrent Vielprat.

Combien Arlempdes, ses abords, ses ruines féodales se détachant sur l’immense forêt de pins qui couronne les hauteurs, le site où se dressait le château de Vielprat démentaient la note lue jadis par Hervé !

Il déclara à son ami, lequel l’approuva sans réserve :

« L’antipathie de ma mère est pour moi inexplicable. C’est un merveilleux pays. J’écris aujourd’hui même à mon notaire que Vielprat n’est plus en vente, et je m’y installe tous les étés. »

Les clôtures avaient été entretenues avec soin, mais l’habitation, fermée depuis plus de vingt ans, était fort délabrée.

Une odeur de moisissure flottait ; de longues traînées d’humidité, causées par le mauvais état des toits, s’étendaient sur les poutres des plafonds, en recouvraient les peintures de mousses blanchâtres.

Un frisson saisit les voyageurs, quand ils pénétrèrent dans les grandes salles obscures.

Toutefois, les volets ouverts, les courants d’air établis du haut en bas, le soleil rendant quelque éclat à l’or terni des cadres, cette impression répulsive se dissipa.