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occupations. Tiens… voici une chose qui me revient… Nous allions, en nous cachant comme des coupables, piocher dans une ravine, où nous avions entrepris de tracer un sentier, rien que nous deux. Je retrouverais maintenant la place où nous serrions nos outils. »

Il parlait avec lenteur, la tête un peu relevée, le menton appuyé dans une de ses mains, le regard fixé à terre…

« Nous avions fait encore autre chose, mon père et moi, poursuivit-il ; c’était un escalier… un très drôle d’escalier… Que c’est vague !… Mon rôle devait consister à regarder travailler mon père : j’avais quatre ans… avais-je même quatre ans ?… Cependant je me vois recueillant de petits débris et les lançant hors de notre chantier… Il y a déjà quelques jours que j’y pense, à cet escalier. Je m’en suis souvenu tout d’un coup, sans que rien eut provoqué ce réveil de la mémoire. Je ne t’en ai pas parlé sur-le-champ parce que j’espérais toujours le découvrir. J’ai fait déjà plusieurs fois le tour du parc, le cherchant, je n’en ai retrouvé aucune trace. Je ne peux pas non plus me rappeler où il aboutissait… Il y a trop longtemps ! Vingt-deux ans sans revenir ! Pourquoi ?… Ma mère n’était pas la femme des antipathies irraisonnées. Elle devait avoir un motif, un motif impérieux d’abandonner Vielprat… de s’en défaire surtout, ce qui était outrepasser ses droits de tutrice. Ce motif est, je le sens, le nœud de la question. Mais comment le pénétrer, sans une donnée ? Mes sœurs en savent-elles plus que moi ? je ne le crois pas.

— Tu ne les as interrogées ni l’une ni l’autre à ce propos ?

— Non. J’ai d’abord voulu voir par moi-même. »

Il s’interrompit pour dire à Yucca :

« J’ai été bien contrarié que Mme de Ludan n’ait pu être ici pour recevoir « ma sœur Thérèse ». Mais les parents de son mari doivent rentrer chez eux, en Anjou, cette semaine. Mon beau-frère accompagne son général en inspection, rien ne retiendra plus ma sœur ; j’espère qu’elle va se mettre en route. »

Lorsqu’une conversation dévie, elle revient rarement à son point de départ. Les deux amis avaient subitement perdu de vue les vieux souvenirs et les recherches imposées.

Au reste, la cloche du déjeuner les y eût arrachés quoi qu’ils en eussent ; elle sonnait à grande volée, ayant à se faire entendre à tous les points de l’horizon, avec l’habituel éparpillement des convives.

(La suite prochainement.) P. Perrault.

ERNEST LEGOUVÉ
DE L’ACADÉMIE FRANÇAISE
(1807-1903)

Un des plus anciens et fidèles collaborateurs du Magasin d’Éducation et de Récréation, M. Ernest Legouvé, de l’Académie française, est décédé le 14 mars dernier, dans sa quatre-vingt-dix-septième année. Jusqu’au bout, la vie lui avait été clémente, et si, suivant ses propres expressions, il n’en craignait pas la fin, mais seulement le chemin qui y conduit, l’illustre défunt aura été exaucé à souhait, car il s’est éteint sans souffrances, sans même que les siens, qui l’entouraient de tant d’affection et de sollicitude, aient eu l’impression, si pénible, des derniers moments.

Si longue qu’elle ait été, l’existence d’Ernest Legouvé fut des mieux remplies et des plus exemplaires, tout entière consacrée aux lettres, pour lesquelles il professait un véritable culte, qu’il honora grandement, et aux-