Page:Hetzel - Verne - Magasin d’Éducation et de Récréation, 1903, tomes 17 et 18.djvu/280

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

à épouser mon père, connaissant son origine.

— Voilà… C’est qu’elle l’a connue trop tard. Le tort a été de ne lui point dire la vérité en lui présentant Philippe. Mais ce tort-là, celle qui a fait le mariage en a seule la responsabilité.

— Qui est-ce ?

Mme de Hautelec, la belle-sœur du baron de Kosen. Veuve et pauvre, elle tenait du mari de sa sœur la pension qui la faisait vivre. Elle donna pour femme à mon fils une nièce de son mari, orpheline et sans fortune, assurée ainsi que le secours bien nécessaire qui lui venait des de Kosen ne lui serait pas ôté. Du moins, l’ai-je accusée de ce calcul intéressé, faute de découvrir un autre mobile à sa conduite. La jeune fille qu’on destinait à Philippe, une Bretonne, aussi, ne connaissait pas du tout les de Kosen. Mme de Hautelec s’arrangea pour que le mariage se fit dans un très court délai. Les jeunes gens furent mis en présence quatre ou cinq fois : c’est tout ! singulières fiançailles ! Celle qui menait ça nous écrivit pour nous prier de demeurer à l’écart en cette circonstance. Le motif ?… c’est que notre fils allait se trouver dans le milieu qui devenait le sien par son mariage, sa femme étant alliée aux plus grandes familles, et que, dans l’intérêt même de Philippe, il était indispensable que cette vieille noblesse bretonne le prit pour ce qu’on le donnait. Le jeune ménage viendrait nous rendre visite en terminant son voyage de noce, promettait-elle. Mais l’orage éclata bien avant. Le jour des épousailles, très triste de ne pas nous avoir auprès de lui, Philippe, qui ne soupçonnait rien des manigances de Mme de Hautelec, laissa éclater son chagrin devant sa femme. Songe qu’il n’avait que dix-neuf ans !…

— Et le vieux baron ?

— Lui… il était bien bas… non pas en enfance, mais éteint. Et c’est justement ce qui avait décidé Mme de Hautelec à mener si rapidement les choses, et à tout prendre en main. Qu’il disparût !… Elle devenait une étrangère pour Philippe. Et s’il cessait de lui servir sa pension, de quoi vivrait-elle ?

— Qu’a dit ma mère ? demanda Hervé, une anxiété dans les yeux.

— Ta mère avait autant de loyauté que d’orgueil, mon petit, prononça Sophie Andelot ; je dois lui rendre cette justice. Lorsque Philippe apprit d’elle qu’on lui avait tu sa situation de fils adoptif, il lui proposa tout net de demander en cour de Rome la nullité de leur mariage. Elle refusa, disant : « J’ai promis devant Dieu, il y a une heure, d’être pour vous une épouse fidèle ; vous n’êtes pas complice du silence gardé sur votre vraie famille, je ne me considère pas comme relevée de mon serment. » S’il lui fut reconnaissant, tu peux le croire ! Il l’aima dix fois plus, après cette explication, et, quand je le revis, un mois plus tard, je pensai que tout était pour le mieux. Mais il fallut bientôt en rabattre. Ta mère n’avait nullement promis de nous adopter comme siens : de fait, elle ne nous devait rien ; elle nous le fit bien voir. Ses visites, toutes cérémonieuses, laissaient entre nous une telle distance que je ne m’enhardis jamais à la nommer ma fille. Quand même, je l’estimais ; elle avait de grandes qualités. J’aurais tout enduré, du reste, pour savoir mon Philippe heureux. Elle était son aînée de trois ans. Son âge, sa raison plus mûre, et surtout sa volonté, je pourrais dire plus justement sa ténacité, lui donnaient la prépondérance dans le ménage. Vraiment, je souffrais ! à voir mon fils si petit garçon devant sa femme. Elle rendait justice à l’intelligence de son mari… oui… j’en conviens… Mais elle entendait le façonner à sa guise :

« Oh ! Philippe ! dans notre monde, cela ne se fait pas… cela ne se dit pas… » Que de fois elle l’a cinglé de ce reproche en ma présence, à propos de vétilles. Lui se soumettait… Elle le remerciait d’un sourire, d’un mot tendre ; jamais cela n’amenait de