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servie par une mémoire solide, n’avait eu aucun effort à donner pour s’assimiler la science proposée.

Autant Claire sympathisait volontiers avec les jeunes filles de son âge, autant elle détestait cordialement ces petits êtres dont la tyrannie eût fait tort à son égoïsme : les enfants. Cela, d’instinct, sans avoir jamais analysé le sentiment qui la tenait éloignée d’eux ; d’autant qu’elle les trouvait, à distance, jolis et drôles.

Elle aimait ses parents ; elle les aimait beaucoup, ayant un besoin extrême de leur tendresse.

L’idée qu’une circonstance quelconque l’obligerait un jour ou l’autre à vivre séparée d’eux ne lui était jamais venue.

Aussi, lorsque, au réveil, sa mère lui annonça, le cœur angoissé, qu’elle et son père devaient habiter quelque temps la Russie et ne pouvaient l’emmener, le premier mot de Claire fut :

« Pauvre moi ! Qu’est-ce que je vais devenir sans vous deux ?… Ah ! mais je ne veux pas ! Je ne veux pas du tout que vous me laissiez, se reprit-elle bien vite ; non, non, je me vois trop à plaindre.

— Et nous, dit le père, qui venait de pénétrer à son tour dans la chambre de sa fille, crois-tu que nous ne le soyons pas, à plaindre ?

— Si… mais pas tant que moi. »

Elle disait vrai.

Eux seraient soutenus par la pensée de son avenir à assurer.

Obligée à ne compter que sur soi, car… on n’a pas deux mamans ! personne ne saurait la chérir, la gâter, la servir comme le faisait sa mère ; elle serait la plus à plaindre, en effet.

Elle en eut la vision si nette qu’un effroi la saisit. D’avance, elle souffrit de cet abandon, pareillement que si, déjà, il eût été réel. Et, pleurant à sanglots, elle déclara à ses parents qu’elle se refusait à se séparer d’eux.

M. et Mme  Andelot firent honneur à son amour filial de cette explosion de larmes.

Certes, il y était pour une part, car, en dépit de tout, Claire avait du cœur ; mais surtout, surtout ! elle aspirait à écarter les peines entrevues, et l’isolement, cet état si nouveau pour elle que son esprit ne l’imaginait pas.

Doucement, en caressant les beaux cheveux de la jeune fille, Mme  Andelot énuméra les fatigues de l’interminable voyage, les inconvénients de l’installation, la tristesse du premier hiver, dans ce pays, dont son mari connaissait seul la langue.

« Je t’aurai ; nous causerons ensemble, s’obstinait à répéter Claire, continuant de pleurer. Si vous me laissez, je croirai que vous ne m’aimez plus ; je tomberai malade, je… »

M. et Mme Andelot échangèrent un regard anxieux et navré.

Que résoudre ?

N’ayant jamais résisté à une volonté de leur fille, ils ne savaient comment s’y prendre. Et, déjà, l’ingénieur ouvrait la bouche pour lui promettre qu’il en serait ce qu’elle voudrait, lorsque Claire s’informa :

« Où me laisseriez-vous, au fait ? Chez l’oncle Eusèbe ?… Tante Mélanie gronde du matin au soir, et mes cousins ne cessent de me faire des niches : merci bien.

— Non, ce n’est pas à mon frère que je te confierais ; son appartement est trop exigu ; toute la bonne volonté de ton oncle et de ta tante ne ferait pas qu’ils puissent en distraire une pièce à ton usage.

— À qui donc, alors ? Vous me mettriez peut-être dans un pensionnat ?

— Tu irais chez ta grand’mère.

À Arlempdes… » murmura Clairette.

Elle répéta, pensive, avec lenteur, comme en une caresse :

« Arlempdes !… »

Sa physionomie s’éclairait peu à peu. Ses pleurs ne coulaient plus. Son regard détourné