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JULES VERNE

Niels Harboe, Albertus Leuwen. Mais Louis Clodion, Roger Hinsdale, Hubert Perkins, Axel Wickborn résistèrent et purent admirer dans toute sa magnifique horreur cette lutte des éléments déchaînés pendant deux jours de tempête.

Quant à Tony Renault et à Magnus Anders, ils avaient décidément des cœurs de marin, cet æs triplex que M. Patterson ne possédait pas et qu’il enviait au navigateur d’Horace.

Au cours de cette bourrasque, l’Alert fut rejeté d’une centaine de milles hors de sa route. De là un retard qui ne serait pas complètement regagné, même si le navire ralliait sans nouveaux incidents les parages où dominent les alizés qui soufflent de l’est à l’ouest. Par malheur, Harry Markel ne retrouva pas les brises régulières qui l’avaient favorisé depuis son départ de Queenstown. Entre les Bermudes et la terre d’Amérique, le temps fut extrêmement variable : parfois des calmes, et le trois-mâts ne gagnait pas un mille à l’heure, — parfois des grains qui obligeaient l’équipage à carguer les voiles hautes, à prendre des ris dans les huniers et la misaine.

Il était donc certain, dès maintenant, que les passagers ne débarqueraient point à Saint-Thomas sans un retard de quelques jours. Il en résulterait une inquiétude assez justifiée sur le sort de l’Alert. Les câblogrammes devaient avoir fait connaître à la Barbade le départ du capitaine Paxton, à quelle date le bâtiment était sorti de la baie de Cork. Plus de vingt jours écoulés, et on n’aurait encore aucune nouvelle du navire.

Il est vrai, de ces appréhensions, Harry Markel et ses compagnons ne prenaient nul souci. Eux, c’était l’impatience qui les rongeait, — l’impatience d’en avoir fini avec cette exploration à travers les Antilles, de n’avoir plus rien à craindre, en cinglant vers le cap de Bonne-Espérance.

Dans la matinée du 20 juillet, l’Alert coupa le Tropique du Cancer à la hauteur du canal de Bahama, par lequel, en partant du détroit de la Floride, se déversent dans l’Océan les eaux du golfe du Mexique.

Si l’Alert, au cours de sa navigation, avait eu à franchir l’équateur, Roger Hinsdale et ses camarades n’auraient point négligé de fêter le passage de la ligne. Ils se fussent très volontiers soumis aux exigences de cette cérémonie traditionnelle en payant les frais du baptême en gratifications. Mais l’équateur est plus au sud de vingt-trois degrés, et il n’y eut pas lieu de célébrer le passage du vingt-troisième parallèle.

Il va sans dire que M. Horatio Patterson, à la condition d’être valide, eût mis la plus parfaite bonne grâce à recevoir les compliments du bonhomme Tropique et de son cortège carnavalesque. Il l’aurait fait, sans nul doute, avec toute la bienveillance et aussi toute la dignité qui convenaient à l’économe d’Antilian School.

Cependant, s’il n’y eut pas cérémonie, Harry Markel, à la demande des jeunes boursiers, accorda double ration à l’équipage.

Le point calculé ce jour-là plaçait l’Alert à deux cent cinquante milles de la plus rapprochée des Antilles au nord-est de l’archipel. Peut-être le trois-mâts serait-il un peu retardé lorsqu’il rencontrerait, à l’ouvert du canal de Bahama, le gulf-stream, ce courant chaud qui se propage jusqu’aux régions septentrionales de l’Europe, sorte de fleuve océanien dont les eaux ne se confondent point avec les eaux de l’Atlantique. D’ailleurs, l’Alert serait alors servi par les vents alizés, régulièrement établis en ces parages, et, avant trois jours, assurément, la vigie signalerait les hauteurs de Saint-Thomas, où s’effectuerait la première relâche.

Et maintenant, à mesure qu’ils approchaient des Antilles, en songeant à cette exploration de l’archipel, qui durerait plusieurs semaines, et non sans danger pour lui, l’équipage ne pouvait se défendre des plus sérieuses appréhensions.